Fiff, avec « f » comme « fin »

Le 32e Festival du Film Francophone de Namur s’est clôturé le 6 octobre, revenons brièvement sur le palmarès du Jury Officiel. Celui-ci était composé de Martin Provost (réalisateur français et Président du Jury), Loubna Abidar (actrice marocaine), Anne Emond (réalisatrice canadienne du Québec), Issaka Sawadogo (acteur burkinabé), Christa Théret (actrice française) et Marc Zinga (acteur belge). Les 6 récompenses attribuées sont les suivantes:

-Bayard d'Or du Meilleur film: Chien, de Samuel Benchetrit
-Prix Spécial du jury: Maman Colonelle, de Dieudo Hamadi
-Bayard d'Or du Meilleur comédien: Vincent Macaigne, pour Chien
-Bayard d'Or de la Meilleure comédienne: Camille Mongeau, pour Tadoussac
-Bayard de la Meilleure photographie: 12 jours, de Raymond Depardon
-Bayard du Meilleur scénario: Chien, de Samuel Benchetrit

Un grand vainqueur donc, le film Chien, mais un palmarès qui a de quoi laisser pantois et qu’on a, justement, un mal de chien à comprendre. En effet, le seul prix qui paraît légitime est celui attribué à l’excellent documentaire de Dieudo Hamadi consacré au travail opiniâtre de la Colonelle Honorine, chargée de la protection des enfants et de la lutte contre les violences sexuelles en République Démocratique du Congo. Une « médaille d’argent » au Fiff entièrement méritée pour le réalisateur congolais.

Dommage que le jury n’ait pas fait preuve de la même lucidité quant aux autres récompenses. Car il est tout bonnement invraisemblable d’avoir attribué 3 prix à ce Chien qui manquait terriblement de mordant et dont l’allégorie qu’il propose, aussi originale pouvait-elle paraître de prime abord, ne suffit pas à masquer les faiblesses d’une mise en scène et d’une interprétation horripilante. Dans cette optique, couronner la (non)prestation de Vincent Macaigne comme Meilleur comédien confine au ridicule, tant l’acteur ne joue pas dans ce film: son personnage demeure amorphe et inexpressif quasiment d’un bout à l’autre, ne se révoltant qu’à une seule et rare occasion contre sa condition d’animal de compagnie. Le genre de personnage à qui l’on rêve de pouvoir flanquer une bonne paire de baffes et qui, au lieu de susciter la moindre empathie à son égard, se rend profondément irritant.

Vincent Macaigne et Vanessa Paradis, interprètes principaux de Chien, aux côtés de Samuel Benchetrit

Dès lors, avoir complètement méprisé le formidable Ana, mon amour, qui méritait 100 fois plus que Chien de repartir avec les honneurs namurois, s’avère une fameuse faute de goût donnant envie de montrer les crocs aux jurés.

Dans la même optique, Mircea Postelnicu, acteur principal du film roumain précité, n’aurait pas volé la statuette du Meilleur comédien, tandis que celle de la Meilleure comédienne aurait du revenir à Mariam Al Ferjani, impressionnante dans La belle et la meute. Si la québécoise Camille Mongeau livre une composition honorable, elle ne surpasse toutefois pas en intensité celle de l’actrice tunisienne.

Enfin le Bayard de la Meilleure photographie ressemble plutôt à un mauvais cliché. Car il fait bien davantage penser à un hommage rendu au grand Raymond Depardon pour l’ensemble de son oeuvre qu’à une récompense attribuée à son documentaire (12 jours) en tant que tel. Un docu fort convaincant au demeurant, certes, et au sujet captivant mais dont on perçoit mal en quoi sa photographie puisse être considérée comme supérieure à celle de TukTuq, autre film lamentablement laissé sur la touche. Peut-être le jury, après un bon repas, se sera-t-il assoupi devant la mise en scène très contemplative de ce film canadien, manquant ainsi l’occasion de profiter des somptueux paysages filmés par Romain Aubert en territoire inuit.

On se consolera de ce palmarès bancal en soulignant la bien plus grande lucidité du Jury Junior, composé de 8 jeunes critiques en herbe belges âgés de 12-13 ans, qui a remis son Prix au film Petit paysan, de Hubert Charuel, parmi 7 films en compétition.

Une mention également au Jury de la Critique UCC-UPCB (les 2 associations belges de critiques) qui devait choisir entre 5 films belges pour décerner son Prix et qui a désigné Drôle de père, d’Amélie Van Elmbt, un récit attachant plein de finesse et sans pathos, bénéficiant d’une belle alchimie entre les personnages et de l’interprétation d’une rare justesse de la petite Nina Doillon.

Le palmarès complet du 32e Fiff peut être consulté sur le site du Festival:

https://www.fiff.be/palmares-fiff-2017

Olivier Clinckart

Fiff, avec « f » comme « fou », « faible » ou « flop »

Avant la clôture de ce vendredi 6 octobre, voici un rapide aperçu des 6 derniers films en Compétition officielle au 32e Fiff de Namur.

Avec Laissez bronzer les cadavres, Hélène Cattet et Bruno Forzani proposent un beau petit ovni cinématographique en forme d’hommage aux films de genre. A la manière des séries B des années 70, les deux réalisateurs s’en donnent à coeur joie avec cette histoire complètement barrée d’une bande de braqueurs en planque dans un village isolé de la Méditerranée. Avec sa première partie déjantée, ses personnages hauts en couleurs et son remarquable travail sur le son, le film ravira les amateurs du genre -quel dommage d’ailleurs que la sortie du film ne coïncide pas avec le Bifff (le Festival du Film Fantastique de Bruxelles) car il y aurait évidemment parfaitement trouvé sa place- tout comme il déconcertera les cinéphiles moins ouverts à ce type de mise en scène. L’intensité de ce trip hallucinatoire faiblit toutefois quelque peu dans sa deuxième partie, filmée essentiellement dans une pénombre qui rend le récit assez confus par moments. Mais l’ensemble ne laisse en aucun cas indifférent.

Tadoussac, film canadien, et  When the day had no name, film macédonien, proposent un regard intéressant sur le cinéma du Québec et de l’ancienne république yougoslave, dont les productions n’atteignent que très rarement nos salles francophones européennes. Avaient-ils pour autant leur place dans une Compétition officielle? Avec une mise en scène lente et un récit qui peine à démarrer, tant le premier titre que le second font plutôt figure d’honnêtes téléfilms, même si les sujets -une jeune femme cherche à retrouver sa mère dans Tadoussac, tandis que When the day had no name suit un groupe de jeunes amis sur une période de 24 heures- auraient pu déboucher sur une intrigue plus fouillée.

Volubilis, film marocain, narre les péripéties d’un couple au sein d’une société décrite comme profondément inégalitaire au niveau social. Lui est vigile dans un centre commercial, elle est employée de maison chez une riche propriétaire dont la vie se résume à des journées oisives et des soirées mondaines. Un évènement profondément humiliant va venir bouleverser le quotidien d’Abdelkader et Malika. Une telle trame avait de quoi donner lieu à un récit subtil sur les inégalités de la société marocaine et une analyse sociologique prenante. Il n’en est rien, tant le ton employé frôle souvent la caricature et ne parvient pas à trouver un équilibre narratif satisfaisant.

Chien, de Samuel Benchetrit, était attendu avec impatience à Namur, car il permettait au public du Fiff de retrouver Vanessa Paradis, laquelle avait d’ailleurs été invitée en 2015 en tant que Coup de coeur du festival. Mais l’actrice n’a en réalité qu’un rôle secondaire dans cette comédie dramatique affligeante (ou dramatiquement affligeante) dont Vincent Macaigne assure le rôle principal. Avec ce récit d’un homme ayant tout perdu et qui se voit recueilli par le patron d’une animalerie qui va le traiter (littéralement) comme un chien, Benchetrit a voulu construire une allégorie se basant sur un fait l’ayant marqué, un jour qu’il se promenait en rue avec son chien: les passants s’intéressaient bien plus à l’animal qu’à un sans-abri couché à deux pas de là. D’où l’idée d’en tirer un roman qu’il adapte donc aujourd’hui au grand écran. Si l’histoire a sans doute de quoi séduire sur papier, le résultat en images est nettement moins convaincant, tant le personnage principal se révèle insupportable avec ses airs de chien battu (logique, certes, avec un tel titre) qui subit les évènements de manière totalement amorphe et se transforme peu à peu en animal de compagnie. Peut-on dès lors parler de performance d’acteur pour Vincent Macaigne, à l’expression figée pendant quasiment tout le film? Certains ont visiblement apprécié sa (non)performance, de même que le côté (faussement) décalé d’un récit qui suscite surtout un ennui profond et dont les moments drôles supposés arrachent à peine un faible sourire. Et que dire de la séquence finale (narrée avec une voix d’une naïveté confondante par Macaigne), qui se veut pleine de poésie? Elle à l’image de l’ensemble: horripilante.

L'acteur Vincent Macaigne (à droite) dans Chien

Maryline, de Guillaume Gallienne, était lui aussi très attendu, après le formidable premier film de son réalisateur, Les Garçons et Guillaume, à table! Mais où diable sont passées la fantaisie débridée et la folle originalité dont Gallienne faisait preuve? Difficile de les retrouver dans Maryline, tout au long de l’histoire de cette jeune femme qui monte à Paris pour y tenter de devenir comédienne. La grande faiblesse du scénario est qu’il est très complexe de définir où Guillaume Gallienne a voulu en venir, tant il semble courir de lièvres à la fois. Cette chronique étalée sur une quinzaine d’années d’une jeune femme qui n’arrive pas à extirper les mots nécessaires de sa bouche pour atteindre son but laisse perplexe. On saluera par contre l’interprétation lumineuse de Adeline D’Hermy, sociétaire comme Gallienne de la Comédie-Française et dont le charme fait mouche dans un film trop décousu et qui n’évite pas certains excès de naïveté et autres clins d’oeil trop appuyés.

Adeline D'Hermy dans Maryline

Verdicts et palmarès du 32e Fiff ce vendredi 6 octobre en soirée. En attendant, voici notre palmarès personnel:

-Prix spécial du Jury au documentaire Maman Colonelle
-Bayard de la Meilleure photographie: TukTuq 
-Bayard du Meilleur scénario: Laissez bronzer les cadavres
-Bayard de la Meilleure comédienne: Mariam Al Ferjani (dans La belle et la meute) ou Adeline D'Hermy (dans Maryline) 
-Bayard du Meilleur comédien: Mircea Postelnicu (dans Ana, mon amour)
-Bayard d'Or: Ana, mon amour

 

Olivier Clinckart

 

Fiff, avec « f » comme « fort »

Le roumain Calin Peter Netzer  avait remporté l’Ours d’Or à Berlin en 2013 avec Mère et fils et l’Ours d’Argent de la Meilleure contribution artistique cette année en février pour Ana, mon amour. Il est dès lors assez incompréhensible que cet excellent film n’ait toujours pas trouvé de distributeur belge 8 mois plus tard, alors qu’il est projeté en Compétition officielle au 32e Fiff de Namur. Souhaitons-lui de repartir de la capitale wallonne avec, pourquoi pas?, un Bayard d’Or qu’il mériterait grandement et qui lui permettrait ainsi d’accomplir un beau doublé, puisque Mère et fils, cité plus haut, avait également remporté le Bayard d’Or en 2013.

Avec sa structure narrative non chronologique, le film conte l’évolution et le délitement progressif d’un couple en abordant en toile de fond une étude de la société roumaine où le sexe (un peu), la religion (modérément) et la psychanalyse (beaucoup) font partie intégrante du décor. Et dont l’humour n’est pas exclu. Dans les rôles principaux, Mircea Postelnicu et Diana Cavallioti sont éblouissants et bluffants de conviction dans la peau de personnages qu’ils incarnent à plusieurs années d’intervalle. Le tout aussi excellent Adrian Pintilie (Bacalaureat) incarne quant à lui le psychanalyste.  « Le casting à duré un an, expliquait Calin Peter Netzer, c’est dire s’il a été ardu de trouver les comédiens adéquats pour de tels rôles ! Je les ai d’ailleurs obligés, en guise de préparation, à suivre tous les 2 une psychanalyse afin de comprendre le mieux possible par quoi passaient leurs personnages. » Une démarche visiblement payante pour des acteurs habités par leur rôle et souvent filmés dans des plans rapprochés. « Je voulais une histoire très intime », justifiait le cinéaste. Son film, lui, mérite assurément d’être vu par le plus grand nombre.

Olivier Clinckart

Fiff, avec « f » comme « fiction et réalité »

Hormis l’excellent Maman colonelle dont nous parlons dans la chronique précédente, la Compétition officielle du 32e Festival International du Film Francophone de Namur proposait 2 autres documentaires.

12 jours, de Raymond Depardon, nous plonge dans la réalité de l’univers psychiatrique et plus précisément des patients hospitalisés en psychiatrie sans leur consentement et qui se voient avant 12 jours présentés en audience auprès d’un juge. Lequel décidera si ces patients resteront internés ou non. Le réalisateur-photographe propose un témoignage fort en donnant la parole à ces personnes qui se retrouvent enfermées dans le but de mieux les protéger de leur extrême fragilité. Pour preuve, les dialogues parfois interpellants entre ces êtres en souffrance et le magistrat chargé de décider de leur sort.

Carré 35, d’Eric Caravaca, part à la recherche des traces laissées par la soeur du réalisateur, décédée à l’âge de 3 ans et avant la naissance de celui-ci. Une soeur dont les parents n’ont gardé aucune photographie. Cherchant à comprendre et expliquer pourquoi cette enfant a été soustraite de la sorte à la mémoire de ses proches, Eric Caravaca part malheureusement dans de trop nombreuses directions à la fois, rendant ainsi son propos parfois confus en mélangeant pêle-mêle le handicap mental , les abus de la colonisation et les conséquences de la décolonisation, ou encore la guerre d’Algérie. Certes, il tente de démontrer le lien qui relie ces différents éléments, mais cette juxtaposition de sujets se fait au détriment du thème central.

Enfin, si le film canadien TukTuq, de Robin Aubert, a beau être une fiction, il n’en contient pas moins un aspect quasi documentaire, dans ce récit où un caméraman est chargé d’aller tourner des images d’une communauté inuit dont le village sera bientôt déplacé pour cause d’exploitation minière sur le territoire où ils résident. Cette réflexion habilement menée sur la manière dont les minorités sont traitées contient aussi une belle dose d’ironie dans les échanges savoureux entre le personnage principal et le responsable de la société qui l’a envoyé en mission dans ces lointains espaces.  Contemplatif à souhait et d’une grande qualité au niveau de ses images, TukTuq mériterait largement de recevoir le Bayard de la meilleure photographie.

Olivier Clinckart

 

 

Fiff, avec « f » comme « femme »

Le 32e festival du Film Francophone de Namur a ouvert ses portes ce vendredi 29 septembre. Pour ce 1er weekend, la programmation a fait la part belle aux femmes, avec, pour commencer en beauté, la Caméra d’Or (qui récompense le Meilleur premier film, toutes compétitions confondues) du dernier Festival de Cannes, Jeune femme, projeté en film d’ouverture et présent dans la Compétition 1e oeuvre de fiction.

La Compétition officielle, pour sa part, n’est pas en reste. Avec La belle et la meute, projeté ce samedi 30 septembre, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania dénonce les institutions corrompues et certaines mentalités archaïques de son pays par le prisme d’une jeune femme victime d’un viol et qui doit faire face non seulement à un mur d’incompréhension, mais aussi à la complicité de la police envers les coupables, eux-mêmes membres des forces de l’ordre.

Divisé en 9 chapitres filmés sous forme de plans-séquences, le récit s’inspire d’une histoire vraie très médiatisée en Tunisie et du livre qui en a été tiré, Coupable d’avoir été violée, rédigé par la victime elle-même, Meriem Ben Mohamed. Ce combat pour la justice et pour le droit des femmes est incarné à l’écran par l’excellente Mariam Al Ferjani, laquelle donne à l’histoire toute son intensité dramatique. Si la mise en scène parfois fort théâtrale tend à enlever au récit une partie de son réalisme brut, il faut reconnaître au film son caractère d’oeuvre utile, en ce sens qu’il expose au grand jour les failles béantes d’une société qui, malgré la révolution qu’elle a initiée, a encore un long chemin à parcourir quant aux libertés fondamentales et aux droits des femmes.

Dans le même ordre d’idées, le documentaire Maman Colonelle, projeté ce dimanche 1er octobre, suit le travail au quotidien de la Colonelle Honorine, au sein de la police congolaise où elle est chargée de la protection des enfants et de la lutte contre les violences sexuelles. A travers ce portrait d’une femme courageuse, le réalisateur Dieudo Hamadi expose les réalités tragiques d’un pays dont la population a eu à subir d’innombrables souffrances liées aux conflits meurtriers qui ont secoué la République Démocratique du Congo et ce, le plus souvent dans l’indifférence ou l’ignorance du reste du monde.

Au fil des témoignages bouleversants recueillis auprès des femmes et des enfants victimes de la folie des êtres (in)humains, c’est un sentiment de profonde consternation qui se dégage du film, lequel atteint donc pleinement son but d’interpeller. Mais, et c’est là le grand mérite de Maman Colonelle, plutôt que de céder à la désespérance, Dieudo Hamadi démontre que l’espoir d’une société meilleure, aussi ténu soit-il, peut encotre émerger grâce aux initiatives citoyennes de quelques âmes bien décidées à ne pas baisser les bras.

Olivier Clinckart

Le 32e Fiff de Namur approche à grands pas

La 32e édition du Festival International du Film Francophone de Namur se tiendra cette année du vendredi 29 septembre au vendredi 6 octobre. Comme à chaque fois, le cinéma francophone sera mis à l’honneur, tout en laissant une place non négligeable au cinéma de pays non francophones mais proches de la francophonie, à l’instar de la Roumanie et du superbe Ana, mon amour, de Calin Peter Netzer, Ours d’Argent de la meilleure contribution artistique à Berlin cette année. Une occasion de plus pour le Fiff de prouver que, malgré sa dénomination, il ne s’enferme pas pour autant dans un strict carcan linguistique.

Tout le programme et autres infos pratiques sont disponibles sur le site du festival:

https://www.fiff.be/

Olivier Clinckart