71e Berlinale: Fictions et documentaires

Pour terminer ce tour d’horizon quasi complet des films en Compétition officielle, il nous reste à évoquer deux fictions projetées à la presse en début de festival et deux documentaires projetés le dernier jour.

Au rayon fiction, Hong Sang-soo a proposé Introduction (1/2), racontant l’histoire de Youngho qui décide de rejoindre par suprise sa petite amie Juwon, laquelle vient de déménager à Berlin pour ses études. C’est le point de départ d’une succession de dialogues chers au réalisateur sud-coréen, dont une partie se déroule comme à l’accoutumée autour d’une table bien garnie et en dégustant quelques verres de soju, cet alcool dont les sud-coréens sont de grands consommateurs.

Tout aussi friand de cinéma, Hong Sang-soo tourne avec une frénésie presque boulimique. Pour preuve, il figure en Compétition officielle à Berlin pour la 2e année d’affilée! Un peu beaucoup, sans doute, pour encore prétendre à une véritable originalité avec ce film proche de l’art de l’aphorisme.

Park Miso, Shin Seokho - © Jeonwonsa Film Co. Production

Avec Albatros (♥♥) , Xavier Beauvois, lui, conforte sa position de fin observateur des émotions. Après dix ans de vie commune, Laurent, policier à Etretat, en Normandie, propose à sa compagne Marie de l’épouser. Si tout va bien au sein de leur famille, le métier de Laurent, qu’il adore, n’est pas exempt de risques . Entre les fauteurs de troubles en état d’ébriété ou des délits plus graves, les interventions ne manquent pas. Lorsqu’un fermier des environs perd les pédales, épuisé par des réglementations européennes qui l’étranglent, Laurent va se retrouver confronté à un terrible dilemme moral. Xavier Beauvois explore avec sobriété les notions de responsabilité et de perte de contrôle, avec une composition tout aussi en retenue de Jérémie Renier.

Jérémie Renier - © Guy Ferrandis

Deux documentaires clôturaient donc les projections en ligne pour la Compétition officielle. Comme dans Albatros, il est encore question de policiers dans A Cop Movie (♥♥), de Alonso Ruizpalacios, qui nous emmène au coeur de la police de Mexico City. Deux acteurs professionnels y vivent un processus immersif et s’inspirent du parcours de deux vrais représentants de l’ordre pour explorer cet univers si particulier, ce qui leur permet d’acquérir une meilleure compréhension de cette institution, parmi les plus controversées du Mexique.

Entre fierté de porter l’uniforme, courage et sens du devoir, mais aussi difficulté de rester intègre face à toutes les strates de corruption qui gangrènent le pays, ces hommes et femmes apportent un témoignage marquant sur leur travail au quotidien. Le réalisateur fait preuve d’audace en fictionnalisant son documentaire, le transformant ainsi en une sorte de film policier où la frontière entre fiction et réalité devient donc extrêmement floue. La démarche s’avère intéressante d’un point de vue formel, mais peut néanmoins déconcerter.

Raul Briones - © No Ficcion

Enfin, Mr. Bachmann and His Class (♥♥) traite d’identité et d’intégration au sein d’une école de Stadtallendorf, une bourgade allemande où enseigne Dieter Bachmann. Âgés de douze à quatorze ans, ses élèves viennent de douze nations différentes; certains ne maîtrisent pas correctement la langue allemande. Proche de la retraite, Bachmann a toujours eu à coeur d’inspirer ces citoyens en devenir, en développant chez eux le sens de la curiosité et du débat dans tous les domaines et tous les sujets d’opinions.

© Madonnen Film

Ce documentaire plein de sensibilité met en lumière le travail remarquable – qu’on pourrait qualifier de sacerdoce- d’un enseignant parmi tant d’autres. A travers son film, la cinéaste Maria Speth -accompagnée par son directeur de la photographie Reinhold Vorschneider- souligne à merveille toute l’importance de l’éducation. La longue durée de son film -3h37 !- le destine davantage à une diffusion télévisée en 2 ou 3 parties plutôt qu’à une projection sur grand écran, mais Herr Bachmann méritait sans nul doute les honneurs d’une participation à la Berlinale.

© Madonnen Film

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Un festival au féminin (II)

Avec Wheel of Fortune and Fantasy (♥♥1/2) , Ryusuke Hamaguchi met en avant plusieurs personnages féminins dans un film divisé en 3 sketches bien distincts mais qui connaissent tous une conclusion inattendue.

Triangle amoureux inattendu, piège de séduction raté et rencontre résultant d’un malentendu: voilà les composantes de ces 3 contes moraux qui amènent les protagonistes à poser des choix importants. Un peu à la manière d’un Eric Rohmer, le réalisateur japonais nous fait témoins de moments qui se cristallisent en des destinées universelles marquées par des choix, des regrets, des tromperies et des coïncidences.

Kiyohiko Shibukawa, Katsuki Mori - © 2021 Neopa/Fictive

Les séquences, qui se déroulent essentiellement en huis-clos, offrent également une radiographie de la société japonaise qui reste peu fréquente, en ce sens qu’elle se rapporte aux sentiments et à l’intime, incluant de ci de là une connotation érotique, en particulier au cours d’une lecture qui ne manque pas de sel. Avec ses dialogues travaillés et ses personnages attachants malgré leurs failles, Wheel of Fortune and Fantasy se laisse volontiers apprécier.

Fusako Urabe, Aoba Kawai - © 2021 Neopa/Fictive

La 70e Berlinale, en 2020, avait couronné There is No Evil, de Mohammad Rasoulof, ce dernier étant d’ailleurs membre du jury cette année. Et si, un an plus tard, l’Ours d’or revenait à nouveau à un film iranien? Cette performance, Ballad of a White Cow (♥♥♥1/2) mériterait de l’accomplir. Car les deux co-réalisateurs Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam développent magistralement un récit centré autour de la culpabilité et l’expiation.

Maryam Moghaddam - © Amin Jafari

Babak, le mari de Mina (qui est mère d’un enfant malentendant), a été exécuté après avoir été jugé coupable d’un meurtre. Or, un an après cette exécution, Mina est informée d’un élément qui va bouleverser une nouvelle fois profondément son existence. Peu de temps après, un inconnu nommé Reza frappe à sa porte, lui affirmant qu’il est venu rembourser une dette qu’il avait envers Babak. Mais les motivations de cet homme sont-elles aussi claires qu’il y paraît?

Alireza Sanifar - © Amin Jafari

Le film s’ouvre sur un extrait du Coran et de la sourate de la vache: « Et rappelez-vous quand Moïse a dit à son peuple: « Allah vous ordonne de tuer une vache ». Ils ont répondu: « Vous moquez-vous de nous? »  » Cette phrase prend peu à peu tout son sens, au fur et à mesure que les liens entre les protagonistes se précisent et que la critique même pas voilée du système judiciaire iranien et de la peine de mort qui y est encore appliquée se fait plus incisive. Avec ses dialogues brillants, une mise en scène irréprochable et l’interprétation magistrale de Maryam Moghaddam (qui est donc devant et derrière la caméra), Ballad of a White Cow pourrait fort bien prétendre à une balade vers la plus haute marche du podium berlinois.

Lilli Farhadpour, Maryam Moghaddam - © Amin Jafari

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Un Festival au féminin (I)

Cette 71e édition de la Berlinale aura permis de découvrir de beau portraits féminins dans les différentes sections du festival. Ainsi, dans la section Generation, le film suisse La Mif (♥♥♥), de Fred Baillif, ne sera pas passé inaperçu. La « mif » en langage « jeune », c’est la famille. Celle de sept jeunes filles qui vivent sous le même toit et ne se sont pas choisies, tout comme une famille. Sorties de milieux difficiles, elles sont hébergées au sein d’un foyer, où elles partagent joies et douleurs, se rebellent contre les failles de leur entourage et les injustices d’une existence qui ne les a pas gâtées. Lora, la directrice du foyer, est toujours là pour elles et se dévoue pour composer au mieux avec ses pensionnaires et les obligations auxquelles elle est soumise pour gérer ce genre de maison d’accueil.

Loin de l’image idéalisée qu’on peut avoir de la Suisse (celle d’un pays riche et paisible), La Mif en présente un autre aspect et pointe du doigt l’imperfection du système de protection de la jeunesse, ainsi que la fragilité des structures sociales. Tout en amenant une réflexion pleine de sensibilité sur le sens de ce qu’est une famille. Les jeunes actrices, impressionnantes de réalisme, ont collaboré étroitement avec le réalisteur dans le développement de leurs personnages. Il en résulte un film profond et intense qui n’a sûrement pas fini de faire parler de lui.

Anaïs Uldry, Amandine Golay, Amélie Tonsi, Kassia Da Costa, Sara Tulu, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy -
© Stéphane Gros / Lumière Noire

Dans la section Berlinale Special, qui présente des films hors compétition, le documentaire Tina (♥♥♥), de Dan Lindsay et T.J. Martin, rend un superbe hommage à Tina Turner, dans un témoignage en forme de quasi-testament spirituel. De ses débuts en duo avec Ike Turner à ses mémorables tournées mondiales dans les années 1980, la chanteuse se livre probablement comme jamais auparavant. Révélant ses luttes les plus intimes et partageant certains de ses moments les plus personnels, Tina nous permet de retrouver l’artiste dans un long entretien exceptionnel filmé en 2019 et entrecoupé de nombreuses images d’archives sur lesquelles il est quasi impossible de ne pas se mettre à danser devant l’écran.

Enfin, dans la Compétition officielle, Célina Sciamma explore à nouveau avec talent le monde de l’enfance avec Petite maman (♥♥). Nelly, huit ans, vient de perdre sa grand-mère bien-aimée et aide ses parents à nettoyer la maison d’enfance de sa mère. Elle explore la maison et les bois environnants où sa mère, Marion, jouait et où elle a construit la cabane dans les arbres dont Nelly a tant entendu parler. Un jour, sa mère part soudainement. C’est alors que Nelly rencontre une fille de son âge dans les bois, construisant elle aussi une cabane dans les arbres. Elle se prénomme également Marion.

Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz
© Lilies Films

Participant pour la deuxième fois à la Berlinale après Tomboy en 2011, Céline Sciamma y revient avec une œuvre intimiste et poétique baignant dans une belle lumière automnale. La réalisatrice interroge les grandes questions de la vie dans une perspective résolument féminine. Le pouvoir de la mémoire et de l’imagination sont explorés au cours d’un beau parcours émotionnel incarné par la grâce des deux jeunes interprètes, bluffantes de naturel.

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Cap à l’Est

Parmi les 15 films en Compétition officielle, 4 proviennent d’Europe de l’Est. En provenance de Hongrie, Natural Light (♥♥) développe un drame austère dont l’action se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1943, dans les vastes territoires de l’Union Soviétique occupée. István Semetka fait partie d’une unité spéciale hongroise pro-nazie chargée de se déplacer de village en village à la recherche de partisans pro-russes. Le groupe fait halte dans un de ces hameaux isolés, en se tenant sur ses gardes, persuadé que des partisans s’y cachent.

Ferenc Szabo - © Tamas Dobos

Pour son premier long-métrage, le réalisateur Dénes Nagy n’aborde pas seulement le thème de la guerre, mais aussi les dilemmes moraux constants auxquels peuvent être confrontés certains des hommes prenant part au combat. À quel point est-on coupable si on est témoin d’horribles événements que l’on n’a pas causés, mais auxquels on participe indirectement en se trouvant du côté de ceux qui en sont responsables? Ce dilemme insoluble, aux frontières du bien et du mal, le personnage principal y est confronté tout au long d’un récit imprégné d’une lumière blafarde. En évoquant cette portion d’histoire de la Hongrie, Dénes Nagy donne à penser qu’il appelle également à la réflexion quant à l’évolution actuelle -aux accents très nationalistes- de son pays.

© Tamas Dobos

De Hongrie également, Forest – I see you everywhere (1/2), se divise en sept récits en forme de miniatures hypnotiques et erratiques qui composent une sorte de kaléidoscope psychologique. Bence Fliegauf a travaillé aussi bien avec des acteurs amateurs que professionnels pour ce long-métrage au budget minimaliste qui fait la part belle aux dialogues fiévreux, dans une atmosphère quasi claustrophobe. Abordant diverses thématiques de l’existence, le film constitue une démarche d’auteur certes intéressante, mais qui peine néanmoins à captiver, sans doute parce que chacun de ces récits pris à part laisse une sensation d’inabouti.

© Ákos Nyoszoli, Mátyás Gyuricza

Encore un peu plus à l’est, en provenance de Géorgie, What Do We See When We Look at The Sky ? () est un des 2 plus longs films de la Compétition officielle (150 minutes). Ce récit en forme de conte traite d’une rencontre fortuite aux portes d’une école, dans une petite ville géorgienne. Lisa et Giorgi se croisent et tombent immédiatement sous le charme l’un de l’autre.

Ani Karseladze - © Faraz Fesharaki / DFFB

Ils se donnent rendez-vous pour le lendemain, mais un sortilège fait en sorte qu’au lever du jour, ils se réveillent tous deux sous une apparence complètement différente. Ils n’ont donc aucune chance de se reconnaître. S’il se dégage une poésie indéniable de l’histoire, la naïveté du ton, la longueur du film et la voix off trop fréquente qui assure la narration constituent autant de faiblesses qui nuisent à l’ensemble.

Giorgi Bochorishvili - © Faraz Fesharaki / DFFB

Le meilleur sera donc pour la fin, avec un film roumain au titre aussi énigmatique que farfelu, Bad Luck Banging or Loony Porn (♥♥) , mais qui dévoile d’emblée son caractère iconoclaste. Nous tombons en effet en pleine sex-tape montrant sous toutes les coutures -et sans filtre pudique!- les ébats d’un couple visiblement très inspiré. Pas de chance néanmoins pour les 2 « héros » de cette vidéo très éducative: la séquence est tombée entre des mains mal intentionnées et s’est retrouvée mise en ligne sur des sites pornographiques, au grand désespoir de la principale protagoniste, facilement reconnaissable et qui officie en tant qu’enseignante dans une institution huppée de Bucarest.

Katia Pascariu - © Silviu Ghetie / Micro Film 2021

Radu Jude revient en toute bonne forme avec cette farce grinçante qui dézingue les travers de la société roumaine et l’hypocrisie de la société en général. Avec sa construction particulière -3 parties distinctes dont la 2e fait quasiment figure de long interlude- Bad Luck Banging or Loony Porn constitue une proposition aussi déconcertante qu’originale, truffée de pointes d’un humour tantôt cynique, tantôt absurde, qui rendent le propos d’autant plus percutant.

Katia Pascariu - © Silviu Ghetie / Micro Film 2021

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Entre passé et futur

Pour ce premier jour de Berlinale virtuelle, le passé et le futur se sont côtoyés dans deux des films en Compétition officielle.

Le passé tout d’abord, avec le très beau Memory Box (♥♥♥), de Joana Hadjithomas and Khalil Joreige, qui évoque le souvenir douloureux de la guerre civile au Liban, dans les années 80. De nos jours, Maia vit à Montréal avec sa mère Téta et Alex, sa fille adolescente. La veille de Noël, une caisse est livrée à leur domicile. Elle contient les journaux, cassettes audio et photos que Maia avait confiés à sa meilleure amie lors de son départ du Liban. Si Maia refuse d’ouvrir ce tiroir aux souvenirs, Alex, elle, ne résiste pas à la tentation de découvrir secrètement quelle a pu être la jeunesse de sa mère que cette dernière n’évoque jamais.

Clémence Sabbagh (Téta), Paloma Vauthier (Alex), Rim Turki (Maia)
© Haut et Court - Abbout Productions - Micro_Scope


Difficile d’affronter les blessures du passé, surtout quand elles s’inscrivent dans un contexte aussi tourmenté que celui de la guerre. Mais en ouvrant la boîte de Pandore, la fille de Maia va pousser sa mère à enfin faire face. Depuis de nombreuses années, les 2 co-réalisateurs, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, s’interrogent sur le rôle de la mémoire dans la création d’images et l’écriture de l’histoire contemporaine. Le couple s’est inspiré ici des propres journaux et bandes audio de Joana et des photographies de guerre de Khalil pour construire l’histoire de Maia et Alex. Cette démarche personnelle débouche sur un film touchant qui ne cherche jamais à forcer l’émotion mais livre un dialogue intergénérationnel sur fond de découverte de ses racines et de réflexion universelle sur les ravages de la guerre. Pour autant, cette fiction se révèle pleine de vie et d’espoir et nous offre une belle prestation des actrices principales.

Manal Issa, Rea Gemayel, Michele Bado, Reina Jabbour -
© Haut et Court - Abbout Productions - Micro_Scope

Dans un tout autre registre, Ich bin dein Mensch / I’m Your Man (♥♥) nous plonge dans un futur hypothétique, mais pour combien de temps encore, au vu des évolutions galopantes de la technologie? Le film raconte l’histoire de Alma, une scientifique qui accepte de participer à une expérience extraordinaire. Pendant trois semaines, elle va vivre avec Tom, un robot humanoïde dont l’intelligence artificielle a été conçue pour lui permettre de représenter le partenaire de vie idéal de la jeune femme. Bien déterminée à ne pas laisser son esprit cartésien être décontenancé par cette machine, Alma va peu à peu se rendre compte qu’il n’est pas si simple de savoir raison garder.

Dan Stevens (Tom), Maren Eggert (Alma)
© Christine Fenzl

Métaphore poussée à l’extrême des rencontres virtuelles, I’m Your Man développe un conte tragi-comique qui explore habilement les notions d’amour et de désir dans une société moderne où les relations amoureuses se sont retrouvées chamboulées par l’apparition de moyens de communication permettant à tout un chacun d’établir un menu bien précis de qu’il souhaite ou ne souhaite pas. Au risque de ne plus laisser aucune chance au hasard. Maria Schrader, récompensée en 1999 à la Berlinale en tant qu’actrice pour Aimée et Jaguar, réalise le présent film et met en vedette un duo qui fait preuve d’une belle alchimie, Maren Eggert et Dan Stevens. Sandra Hüller (Toni Erdmann, Une valse dans les allées) est également de la partie dans un second rôle.

Dan Stevens, Sandra Hüller
© Christine Fenzl

Olivier Clinckart

71e Berlinale: virtuellement vôtre

En février 2020, la 70e Berlinale était le dernier grand festival européen à s’être tenu dans des conditions normales, juste avant que la pandémie de coronavirus ne mette quasiment le monde entier à l’arrêt. Un an plus tard, du 1er au 5 mars, la 71e Berlinale sera le premier grand festival européen à se tenir de manière entièrement virtuelle, proposant aux professionnels du marché du film ainsi qu’aux journalistes de découvrir les nombreux films présentés en ligne. Néanmoins, si les conditions sanitaires le permettent, une édition physique à destination du public se tiendra du 9 au 20 juin et projettera les films qui auront été vus et primés début mars. Reste à croiser les doigts pour que cet hypothétique évènement puisse avoir lieu!

En attendant, 15 films se disputeront l’Ours d’Or et les différents prix annexes dans la Compétition officielle:

Albatros (Drift Away)
France
de Xavier Beauvois
avec Jérémie Renier, Marie-Julie Maille, Victor Belmondo

Babardeală cu bucluc sau porno balamuc (Bad Luck Banging or Loony Porn)
Roumanie / Luxembourg / Croatie / République Tchèque
de Radu Jude
avec Katia Pascariu, Claudia Ieremia, Olimpia Mălai

Fabian oder Der Gang vor die Hunde (Fabian – Going to the Dogs)
Allemagne
de Dominik Graf
avec Tom Schilling, Saskia Rosendahl, Albrecht Schuch

Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow)
Iran / France
de Behtash Sanaeeha, Maryam Moghaddam
avec Maryam Moghaddam, Alireza Sanifar

Guzen to sozo (Wheel of Fortune and Fantasy)
Japon
de Ryusuke Hamaguchi
avec Kotone Furukawa, Kiyohiko Shibukawa, Fusako Urabe

Herr Bachmann und seine Klasse (Mr Bachmann and His Class)
Allemagne
de Maria Speth
avec Dieter Bachmann and pupils of class 6b

Ich bin dein Mensch (I’m Your Man)
Allemagne
de Maria Schrader
avec Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller

Inteurodeoksyeon (Introduction)
République de Corée
de Hong Sangsoo
avec Shin Seokho, Park Miso, Kim Minhee

Memory Box
France / Liban / Canada / Qatar
de Joana Hadjithomas, Khalil Joreige
avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier

Nebenan (Next Door)
Allemagne
de Daniel Brühl
avec Daniel Brühl, Peter Kurth

Petite Maman
France
de Céline Sciamma
avec Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse

Ras vkhedavt, rodesac cas vukurebt? (What Do We See When We Look at the Sky?) Allemagne / Géorgie
de Alexandre Koberidze
avec Ani Karseladze, Giorgi Bochorishvili, Vakhtang Fanchulidze

Rengeteg – mindenhol látlak (Forest – I See You Everywhere)
Hongrie
de Bence Fliegauf
avec Laura Podlovics, István Lénárt, Lilla Kizlinger, Zsolt Végh, László Cziffer, Juli Jakab, Ági Gubík

Természetes fény (Natural Light)
Hongrie / Lettonie / France / Allemagne
de Dénes Nagy
avec Ferenc Szabó, Tamás Garbacz, László Bajkó

Una película de policías (A Cop Movie)
Mexique
de Alonso Ruizpalacios
avec Mónica Del Carmen, Raúl Briones

Le jury officiel est composé cette année d’anciens lauréats de l’Ours d’Or: Mohammad Rasulof (Iran), Nadav Lapid (Israël), Adina Pintilie (Roumanie), Ildikó Enyedi (Hongrie), Gianfranco Rosi (Italie) et Jasmila Žbanić (Bosnie-Herzegovine).

Olivier Clinckart

69e Berlinale: pronostics d’avant verdicts

C’est ce samedi 16 février que le jury présidé par Juliette Binoche décernera ses prix aux films en Compétition officielle. En attendant, voici notre palmarès personnel idéal:

Prix Alfred-Bauer (qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière) : Öndög de Wang Quan’an

Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique : The Golden Glove, de Fatih Akin

Ours d’argent du Meilleur scénario : A Tale of Three Sisters

Ours d’argent de la Meilleure actrice : Helena Zengel dans System Crasher ou Zorica Nusheva dans God exists, Her Name is Petrunija

Ours d’argent du Meilleur acteur : Jonas Dassler dans The Golden Glove

Ours d’argent de la Meilleure réalisation: Agnieszka Holland, pour Mr. Jones

Ours d’argent – Grand Prix du jury: Grâce à Dieu, de François Ozon.

Ours d’Or du Meilleur film : So Long, My Son de Wang Xiaoshuai

Pour rappel, voici notre cotation des 16 films en Compétition:

So Long, My Son ♥♥♥ 1/2
Grâce à Dieu ♥♥♥
The Golden Glove ♥♥♥
Mr. Jones ♥♥ 1/2
Piranhas ♥♥ 1/2
A Tale of Three Sisters ♥♥
God exists, Her Name is Petrunija ♥♥
Öndög ♥♥ 
System Crasher ♥♥ 
Elisa & Marcela ♥ 1/2
Out Stealing Horses ♥ 1/2
The Kindness of Strangers ♥ 1/2
Répertoire des villes disparues The Ground beneath My Feet  
I was at home, but 0
Synonymes 0

69e Berlinale: le meilleur pour la fin

Les organisateurs de la Berlinale aiment visiblement ménager le suspense: alors que la sélection de cette année est nettement en demi-teinte, c’est lors du dernier jour des projections à la presse qu’ils nous ont réservé le meilleur film de cette 69e édition!

So Long, My Son (♥♥♥ 1/2), de Wang Xiaoshuai, est en effet une pleine réussite, une oeuvre ambitieuse de 180 minutes dont la durée, rébarbative de prime abord, se justifie pleinement pour développer un récit qui s’étale sur plusieurs décennies. Si ce mélodrame familial est centré autour de la perte d’un enfant et des conséquences que ce deuil va entraîner pour les deux familles concernées, le récit se veut aussi une analyse de la Chine tout au long de cette période, que ce soit par le biais de la politique de l’enfant unique ou des profondes mutations que le pays a traversé.

Wang Xiaoshuai met en place une brillante construction narrative, alternant les séquences dans le présent et les flashbacks, sans toutefois utiliser le moindre effet pour passer de l’une à l’autre. De même, il recourt régulièrement à l’ellipse, d’où l’intérêt de rester pleinement attentif à l’intrigue. Cela n’empêchera pas de se sentir par moments largués, comme si une pièce du puzzle nous manquait. Et c’est effectivement le cas; le scénario ayant habilement prévu de ne nous livrer toutes les clés du récit que lorsque celui-ci touche à son terme.

 

Avec sa tonalité douce-amère et la mélancolie qu’il contient (car si les traces physiques du passé ont disparu de la Chine moderne, les cicatrices laissées par les souvenirs, demeurent, elles, intactes), So Long, My Son brille également par son interprétation irréprochable qui apporte encore davantage de supplément d’âme à l’ensemble. Il serait dès lors regrettable que le jury passe à côté de cette oeuvre cinématographique complète qui mérite sans hésitation l’Ours d’Or ou une des principales récompenses de cette 69e édition de la Berlinale.


A noter que So Long, My Son n’aurait pas du être le dernier film projeté dans la Compétition: une autre production chinoise, One Second, de Zhang Yimou, figurait au programme de la 69e Berlinale. Des « problèmes de postproduction », selon le communiqué officiel (mais la rumeur évoque avec insistance la censure chinoise), ont obligé les organisateurs à retirer le film en dernière minute.

One Second, le film dont on ne verra même pas une seconde

Olivier Clinckart

69e Berlinale: les derniers films en Compétition

Les dernières projections de la Compétition officielle de la 69e Berlinale ont eu lieu. Voici un rapide aperçu de 4 des 5 derniers titres.

Piranhas (titre original: La Paranza dei Bambini) (♥♥ 1/2), de Claudio Giovannesi. Inspiré du roman de Roberto Saviano, le film nous plonge dans la vie de gangs d’adolescents qui oeuvrent dans les quartiers défavorisés de Naples. Là, ils profitent de l’absence de chefs mafieux emprisonnés pour prendre peu à peu leur place sur le terrain du crime organisé et adopter les mêmes pratiques criminelles que leurs prédécesseurs.

Avec ses jeunes acteurs très convaincants et recrutés dans les quartiers populaires de Naples, Piranhas aborde efficacement une réalité aussi tragique qu’interpellante et pointe du doigt la misère sociale qui permet à la mafia de continuer à prospérer et de séduire des personnes fragilisées à la recherche d’argent facile.

A Tale of Three Sisters (♥♥ ), film turc de Emin Alper, raconte l’histoire de 3 soeurs, Reyhan (20 ans), Nurhan (16 ans) et Havva (13 ans). qui vivent avec leur père dans un village reculé d’Anatolie. Toutes 3 ont déjà eu l’occasion de travailler en ville et n’ont qu’une seule envie: y retourner au plus vite pour échapper à la vie de la campagne profonde qui leur semble être un fardeau des plus lourds à porter.

Le scénariste a eu visiblement beaucoup de travail avec A Tale of Three Sisters, car les dialogues abondent entre les différents protagonistes. Le film doit-il être qualifié de trop bavard pour autant? Non, car malgré quelques longueurs et redondances, il nous livre un portrait d’une certaine partie de la Turquie, loin des grandes villes ou des zones touristiques prisées. Une certaine audace s’installe même dans les conversations (on y parle de sexe, de plaisir, d’émancipation féminine, de mariage arrangé malheureux…), lesquelles se tiennent au coin du feu ou dans les superbes décors des montagnes d’Anatolie. Mais le drame n’est pas loin et lorsqu’il survient, le récit prend toute sa dimension.

Elisa & Marcela (♥ 1/2), de Isabel Coixet, permet à la réalisatrice espagnole de revenir à Berlin, un an tout juste après y avoir présenté The Bookshop dans la catégorie Berlinale Special. Elle a cette fois les honneurs de la Compétition officielle avec ce drame inspiré de faits réels (tout comme d’ailleurs de nombreux autres films de la Compétition cette année). Relatant l’histoire d’amour interdite de deux jeunes femmes dans l’Espagne du début du 20e siècle, Elisa & Marcela s’inscrit évidemment dans l’air du temps et ne manque pas de rappeler juste avant le générique que l’union entre personnes du même sexe reste aujourd’hui encore proscrite, voire même passible de la peine de mort, dans un certain nombre de pays. Dommage que la réalisatrice n’évite pas certaines scènes répétitives à l’eau de rose qui ôtent une partie de sa crédibilité à la mise en scène. Mais le principal mérite du film est de mettre en lumière le combat douloureux mené par ces deux femmes pour pouvoir vivre leur passion dans une société où la chose était inconcevable.

Synonymes (0), de Nadav Lapid, est surtout synonyme d’ennui et de prétention portés à leur paroxysme. Le récit raconte l’histoire d’un beau jeune homme israélien ayant fui son pays et espérant pouvoir s’installer définitivement en France. Sujet de prime abord intéressant que celui-là (et familier au réalisateur), centré autour de ces étrangers en quête d’une autre terre et d’une nouvelle vie.

Hélas, comme nous l’écrivions déjà au sujet de I was at home, but les adeptes de la masturbation intellectuelle seront probablement les seuls à s’extasier devant cet objet cinématographique qui transpire la prétention d’un bout à l’autre.  Usant et abusant d’une théâtralisation excessive, le film développe une galerie de personnages caricaturaux, à commencer par le principal, Yoav (incarné par Tom Mercier) qui garde une mine figée de la première à la dernière minute, dans une succession de séquences qui frisent tantôt l’hystérie, tantôt le nombrilisme parisien le plus pénible.

Le physique avantageux de Tom Mercier, qui n’hésite pas à s’investir physiquement à plus d’une reprise, constitue probablement le seul attrait pour le regard de ce Synonymes qui, nous l’espérons, ne sera pas synonyme de récompense majeure au palmarès de cette 69e Berlinale.

Olivier Clinckart

69e Berlinale: une sélection avec des hauts et des bas

Si les grands festivals permettent de découvrir d’excellents films, toute sélection digne de ce nom comporte également certaines oeuvres dont on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence de leur présence en Compétition.

Ainsi, Out Stealing Horses (♥1/2 ), film norvégien de Hans Petter Moland, raconte l’histoire d’un vieil homme qui, après la mort de sa femme, s’est retiré dans un petit village de Norvège, loin d’Oslo. Lorsqu’il croise une vieille connaissance qu’il n’a plus revue depuis son adolescence, le passé revient aussitôt à la surface. Alternant les flashbacks et les retour au présent, ou en proposant même parfois un flashback dans le flashback, le scénario semble avoir plaisir à jouer avec le temps, mais aussi un peu avec le nôtre. Car si les souvenirs d’adolescence du personnage principal ne manquent pas d’intérêt sur le papier, la manière dont l’intrigue est développée tourne rapidement en rond pour déboucher sur un récit assez vain dont on peine à saisir les tenants et les aboutissants. Reste les beaux paysages de la région frontalière entre la Suède et la Norvège et l’interprétation convaincante du toujours talentueux Stellan Skarsgard. Dommage que l’histoire, prometteuse de prime abord, ne fasse pas preuve de d’avantage d’audace narrative.

The Ground beneath My Feet (), film autrichien de Marie Kreutzer, suit le parcours de Lola, presque trentenaire et brillante consultante en management constamment en déplacement pour l’entreprise dans laquelle elle travaille. Son bel appartement viennois lui sert davantage de boîte aux lettres que de lieu de résidence et elle entretient une liaison passionnée avec sa propre CEO. Bref, tout pour réussir, si ce n’est le petit détail dont elle n’est pas fière et qu’elle cache soigneusement: sa soeur, Conny, qui souffre de troubles mentaux depuis de nombreuses années et qui nécessite une surveillance régulière. En somme, l’ordre d’un côté et le chaos de l’autre. Deux opposés qui vont inévitablement rentrer en collision et auquel Marie Kreutzer donne à mi-course un petit parfum de fantastique: Lola se met à entendre des voix et se demande peu à peu si elle n’est pas aussi atteinte que sa soeur. D’où les ennuis qui vont commencer à son boulot, où la dure réalité d’une entreprise qui ne jure que par la performance ne tolère pas la moindre faiblesse. En mélangeant les thématiques avec une froideur clinique qui ne laisse ressentir aucune empathie pour ses personnages, Marie Kreutzer passe en partie à côté de son sujet et nous laisse de marbre.

Valerie Pachner (The Ground beneath My Feet)

Répertoire des villes disparues () , du Canadien Denis Côté, donne lui aussi à son film un petit air de X-Files. Il ne manque d’ailleurs que la musique de la célèbre série télé pour se croire revenu au temps des aventures de Scully et Mulder, transposées pour l’occasion dans les campagnes paumées du Québec. A Irénée-les-Neiges comme dans tant d’autres villages, la population se raréfie de plus en plus. A tel point que la mort en voiture (par accident ou par suicide?) du jeune Simon Dubé est vécue comme un traumatisme par les habitants qui perdent non seulement une bonne connaissance mais aussi une force vive et pleine d’avenir du village. Mais comme si cela ne suffisait pas, voilà que des phénomènes mystérieux vont commencer à se manifester peu de temps après le décès du jeune homme. Pas de quoi trembler bien longtemps cependant: Denis Côté nous sert de la métaphore à la grosse louche en symbolisant les villages de son Québec natal qui se désertifient par l’apparition de revenants. Des esprits pas bien méchants d’ailleurs, puisqu’ils se contentent de se promener sur leur anciennes terres et d’observer, silencieux, les vivants pas rassurés. Cela pourrait être drôle si Denis Côté ne se prenait pas autant au sérieux, mais au lieu de faire sourire, l’intrigue frôle plutôt le ridicule. Le premier tiers du film, avec ses décors enneigés et son atmosphère froide réussie, laissait pourtant espérer un développement plus subtil de la thématique abordée. Il faut hélas déchanter dès l’apparition de ces fantômes qui rendent le récit presque transparent.

Robert Naylor (Répertoire des villes disparues)

Enfin, I was at home, but (0), de la réalisatrice allemande Angela Schanelec, est à l’image de son titre incomplet: il laisse le spectateur furieusement sur sa faim! Dans une succession interminable de longs plans fixes dont on peine à comprendre quel lien les relie, le film raconte l’histoire d’une mère qui retrouve son fils de 13 ans, après que celui-ci ait disparu pendant une semaine. Tant sa mère que les professeurs de l’adolescent pensent que cette fugue a un lien avec la mort de son père. Cette affaire de famille n’a en fait pas le moindre intérêt pour le spectateur, tant il semble évident que la réalisatrice a surtout aimé se regarder filmer, tout en prétendant insérer dans son récit quelques questions existentielles. C’est du cinéma prétentieux tel qu’on le déteste, une pseudo démarche artistique réservée aux happy few qui y trouveront leur compte. En ce qui nous concerne, voir un tel film se retrouver en Compétition officielle est difficilement compréhensible. I was at home, but, signifie littéralement « J’étais à la maison, mais »: il n’y a pas de « mais » qui tienne, Angela Schanelec aurait en effet mieux fait de rester chez elle plutôt que de tourner ce qui sera probablement le plus mauvais film en compétition de la 69e Berlinale.

Olivier Clinckart