Une leçon d’Histoire à la 69e Berlinale

 

Deux ans après y avoir remporté le Prix Alfred Bauer à Berlin pour Spoor, Agnieszka Holland revenait à la Berlinale pour y présenter Mr. Jones (♥♥ 1/2), lui aussi en Compétition officielle. L’occasion de proposer une intéressante leçon d’Histoire, en ce sens que le film nous éclaire sur le destin assez méconnu de Gareth Jones, jeune journaliste gallois qui, au début des années 30, se retrouva clandestinement en plein coeur de l’Ukraine soviétique, alors décimée par une famine abominable (désignée là-bas sous le terme de « Holodomor », l’extermination par la faim) encouragée par le régime stalinien et qui allait causer la mort de centaines de milliers -si pas de millions- d’individus. Las, tout comme personne dans les hautes sphères ne voulut croire Jones quand il pressentait le danger que représentait l’Allemagne nazie, peu nombreux furent ceux qui voulurent donner écho aux faits terribles que le reporter put décrire à son retour de l’enfer ukrainien.

Cette évocation historique est retracée avec sobriété par la réalisatrice polonaise, dans une mise en scène des plus classiques mais globalement efficace, malgré quelques longueurs dans la première partie du récit. Lequel ne prend véritablement tout son sens qu’au moment où Jones débarque en Ukraine et y est témoin des évènements terrifiants qui s’y déroulent.

Parallèlement, le scénario montre également à quel point l’idéologie stalinienne, tout comme l’idéologie nazie, était capable de subjuguer les individus au point de leur faire perdre tout sens critique. Car, au contraire de Gareth Jones, d’autres journalistes occidentaux se firent les fidèles avocats du communisme à la sauce stalinienne, à l’instar de Walter Duranty, qui remporta le prestigieux Prix Pulitzer en 1932 pour ses reportages très condescendants à l’égard de l’U.R.S.S. Un Prix Pulitzer qui ne lui fut d’ailleurs jamais retiré, même lorsque les mensonges contenus dans son travail devinrent évidents.

Agnieszka Holland

Inévitablement, le dernier film en date de Agnieszka Holland se veut une référence au passé mais aussi au présent, alors qu’un peu partout des mouvements très radicaux, voire  extrêmes, prennent de l’ampleur en Europe. Dans cette optique et malgré son classiscisme, Mr. Jones constitue un rappel pertinent du danger -jamais entièrement écarté- que représentent les idéologies totalitaires.

Olivier Clinckart

Une affaire de famille – Sélection officielle

Famille adoptée

♥♥♥

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Grand habitué des honneurs de la Croisette (5 participations à la Compétition officielle depuis 2001!), Hirokazu Kore-eda revient avec un drame subtil, avec cette histoire d’une famille pas vraiment comme les autres, où les codes moraux traditionnels sont laissés au placard. Pourtant, et c’est là toute l’habileté du scénario et de la mise en scène, impossible de ne pas ressentir de l’empathie pour ces personnages, tous plus ou moins marginaux, qui ont su se créer un microcosme au sein duquel l’affection et l’amour sont présents. D’où, par extension, la réflexion puissante que lance Kore-eda sur le thème des liens familiaux, au fur et à mesure que les relations entre les personnages se précisent et que la société va chercher à briser la logique qui prévaut dans leur groupe.

Autant de tranches de vie attachantes, voire bouleversantes à l’approche de la conclusion, auxquelles le jury cannois ne restera probablement pas insensible au moment de rendre ses verdicts.

Olivier Clinckart