Once Upon a Time… in Hollywood

Il était une fois… le cinéma de Tarantino

♥♥

En 1969, la star de télévision Rick Dalton et le cascadeur Cliff Booth, sa doublure de longue date, poursuivent leurs carrières au sein d’une industrie qu’ils ne reconnaissent plus.

Cela faisait un bon moment qu’on n’avait plus assisté à pareille cohue au Festival de Cannes. C’est que tout le monde voulait voir -ou apercevoir- le fameux trio Tarantino-Pitt-DiCaprio et assister à la projection de Once Upon a Time… in Hollywood, film attendu comme le Messie sur la Croisette après s’être laissé désirer jusqu’à la dernière minute. Du coup, et malgré les multiples projections programmées pour permettre à un maximum d’accrédités de voir ce fameux objet filmique, certains journalistes durent patienter jusqu’à l’ultime séance, tant les premières furent littéralement prises d’assaut. Mais cela fait aussi partie intégrante de la magie de Cannes…

A l’arrivée, que penser du dernier opus en date de Maître Quentin? Notre impression est quelque peu mitigée. Certes, Tarantino étale à nouveau son incroyable culture cinématographique et montre son art de la reconstitution d’époque, dans laquelle il excelle. Décors, costumes, atmosphère de la fin des années 60, …: rien n’est laissé au hasard et les références abondent, le récit faisant revivre plusieurs stars emblématiques de l’époque.

Reprenant le principe déjà utilisé dans Inglorious Basterds, Tarantino revisite l’Histoire à sa manière, plus précisément en évoquant le contexte tragique autour de la secte de Charles Manson, dont les disciples fanatisés massacreront l’actrice Sharon Tate (à l’époque épouse de Roman Polanski).

Si le film bénéficie d’une très bonne interprétation -Brad Pitt et Leonardo DiCaprio en tête- le scénario nous a laissé en partie sur notre faim. Et cette sensation se voit renforcée par un montage dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il a été fignolé dans l’urgence, afin que le long-métrage puisse être prêt juste à temps pour Cannes. En effet, aux scènes rythmées se succèdent des séquences aux dialogues interminables, créant ainsi un déséquilibre narratif qui nuit à l’ensemble. Enfin, alors que le réalisateur insistait fortement pour que personne ne révèle quoi que ce soit de l’épilogue du film, laissant ainsi supposer un twist final particulièrement surprenant, force est de constater que cette pseudo-révélation n’a rien de percutant en soi.

Certes, Once Upon a Time… in Hollywood est loin d’être un mauvais film, mais ce n’est certainement pas le meilleur de Tarantino, même s’il constitue une distraction des plus honorables.

Olivier Clinckart

The Wild Goose Lake – Sélection officielle

♥1/2

Un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté se retrouvent au cœur d’une chasse à l’homme. Ensemble, ils décident de jouer une dernière fois avec leur destin.

Ce polar sensuel bénéficie d’une esthétique envoûtante et c’est probablement là son atout principal, hormis ce qu’il montre des fractures de la Chine. Cette plongée dans les bas-fonds mêle les éléments du film noir avec des touches de romantisme, mais son intrigue tend par moments à devenir secondaire et nébuleuse, tant le réalisateur privilégie la forme par rapport au fond. Ce qui empêche probablement d’adhérer pleinement au récit de ce film.

Olivier Clinckart

 

Roubaix, une lumière – Sélection officielle

Roubaix crépusculaire

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À Roubaix, un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes…

S’inspirant d’un fait divers sordide, Arnaud Desplechin livre un polar sombre, à l’image de la grisaille -souvent représentée- du Nord, à l’aspect quasi documentaire. Cette plongée qui se veut très réaliste dans la misère sociale et humaine offre de beaux rôles aux comédiens principaux, Roschdy Zem en tête. Face à lui, Léa Seydoux et Sara Forestier forment un couple aussi marginal que diabolique. Si l’ensemble manque d’intensité et de suspense, Desplechin n’en propose pas moins un essai intéressant dans son genre.

Olivier Clinckart

Parasite – Sélection officielle

♥♥♥

Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne…

Bong Joon-ho a mitonné une petite pépite de comédie noire qui fait beaucoup parler d’elle sur la Croisette depuis sa projection. Opposant les riches et les pauvres, et donnant ainsi une image différente de son pays qu’on imagine souvent par le seul prisme du miracle économique sud-coréen, Parasite développe un scénario redoutable d’efficacité, en forme de fable aussi drôle que cruelle et dans laquelle une famille d’usurpateurs va s’immiscer lentement mais sûrement au sein d’une famille très aisée, sans révéler les liens qui les unit.

Avec son récit qui évolue inexorablement vers une conclusion aussi surprenante que jouissive, cet excellent Parasite-là ne sera sûrement pas chassé du palmarès du Festival!

Olivier Clinckart

 

Il traditore – Sélection officielle

♥♥1/2

Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, Buscetta, prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.

Marco Bellocchio se livre à une exploration très convaincante du parcours hors normes de Tommaso Buscetta, premier mafioso repenti de Cosa Nostra. A la fois fresque politique et portrait d’un homme, le film retrace une large tranche de l’Histoire récente de l’Italie, de même qu’il se livre à une excellente reconstitution des méga-procès visant à condamner de nombreux chefs mafieux. Si la mise en scène s’avère des plus efficaces, l’interprétation de Pierfrancesco Favino (qui incarne Buscetta) est tout aussi remarquable.

Olivier Clinckart

Matthias et Maxime – Sélection officielle

Amouritié

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Pour les besoins d’un court-métrage amateur, deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent. De ce baiser anodin, de ce fake kiss, découlera le doute. Un doute qui déstabilisera profondément ces deux héros qui, jusque-là, pensaient bien se connaître tant de manière réflexive que mutuellement.

 » Trouver ma place aura été, comme pour la plupart du monde, j’imagine, l’histoire de ma vingtaine. J’ai, par amour, et cherchant à remédier à un sentiment d’imposture, fait un fou de moi plus souvent qu’à mon tour. Le succès s’accompagne d’isolement et avant que j’aie pu m’en rendre compte j’étais, après avoir franchi mon premier quart de siècle, seul, les trois quarts du temps.

Mais depuis quelques années, j’ai vu se poser sur ma route quelques personnes qui, se trouvant au bon endroit, au bon moment, sont devenues pour moi des phares. Je les ai laissées entrer chez moi, et elles ne sont plus reparties. J’ai donc pu, ces derniers temps, découvrir ou redécouvrir des humains avec qui, avant d’être réalisateur ou scénariste, j’ai pu être moi-même. Ce que j’ai donné et parfois perdu en amour, avec eux je l’ai retrouvé.

Matthias et Maxime parle d’amitiés comme celles-là. Dans un autre monde, et dans une autre histoire. Où de jeunes gens de différentes origines, différentes classes, arrivent à un certain âge et, au tournant d’une époque et de ses grands questionnements, se demandent comme moi où est bien leur place. »

Xavier Dolan, 9 avril 2019

Quelle est la ligne de démarcation qui sépare l’amitié de l’amour ? Quand et comment sait-on que l’on aime d’amour ou d’amitié ? C’est sur le fil tendu de cette vertigineuse question que le huitième long-métrage du prodige québécois progresse avec la lenteur d’un funambule. Point de grands éclats ici ni de dialogues hystériques, mais de la tendresse, de la fragilité, un mélange des genres mêlant quête existentielle et comédie de mœurs, le tout fondu dans une orchestration musicale à la hauteur de l’enjeu. Une fois de plus, la sensibilité de Dolan tant en tant qu’acteur et réalisateur, parvient à nous étreindre à travers cette amitié amoureuse masculine, sujet rarement évoqué au cinéma, brisant l’imposture selon laquelle la destinée humaine suivrait un chemin tout tracé.

Christie Huysmans

 

Dolor y Gloria – Sélection officielle

♥♥1/2

 

Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.

Difficile de ne pas voir dans le dernier film d’Almodovar un autoportrait du cinéaste, à nouveau convié à Cannes en Sélection officielle. En effet, le métier du personnage principal -incarné par un excellent Antonio Banderas- n’est autre que le cinéma et le scénario multiplie les réminiscences autobiographiques et les souvenirs d’enfance.

Dans des décors aux couleurs explosives comme il les affectionne, le réalisateur espagnol se révèle profondément touchant dans ce voyage intime qui propose une belle réflexion sur différentes thématiques nous plongeant dans les méandres du passé et le présent, avec un équilibre aussi subtil que permanent.

Olivier Clinckart

It Must Be Heaven – Sélection officielle

♥1/2

ES fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie.

Avec It Must Be Heaven, le réalisateur palestinien Elia Suleiman nous entraîne dans une longue pérégrination en forme de comédie de l’absurde, parcourant le monde en quête d’une vie nouvelle, mais se rendant compte au fur et à mesure de son périple que le monde est devenu un microcosme de la Palestine.

Ce conte burlesque qui explore l’identité, la nationalité et l’appartenance semble surtout avoir été conçu pour mettre en avant son réalisateur, lequel lorgne un peu trop vers Jacques Tati ou Pierre Etaix pour développer une fable politique à l’humour froid et pas exempte de clichés.

Olivier Clinckart

Mektoub, my Love: intermezzo – Sélection officielle

Corps à corps

♥♥♥1/2

La fin de l’été approche, Amin et ses amis rencontrent Marie, une jeune étudiante parisienne.

 

Il n’a pas du être fréquent dans l’histoire du Festival de Cannes de programmer une suite en Sélection officielle. C’est le cas avec le dernier film d’Abdellatif Kechiche qui, après Mektoub, my Love: Canto Uno, est venu proposer le deuxième opus sur la Croisette. Et le moins qu’on puisse écrire est que, si le premier volet avait déjà fait parler de lui, le deuxième laisse encore moins indifférent et divise clairement la Critique!

Car Mektoub, my Love: intermezzo possède tous les ingrédients pour enthousiasmer… ou horripiler les spectateurs, ainsi que nous avons pu le constater au sortir de la projection-marathon (près de 4 heures) qui a débuté à 22h pour se terminer aux alentours de 2h du matin. En ce qui nous concerne, et au risque de nous sentir un peu seuls, c’est probablement la meilleure proposition cinématographique qu’il nous ait été donné de voir dans ce 72e Festival de Cannes. Car, poursuivant sur sa lancée de Canto Uno, Kechiche confirme son extraordinaire capacité à tourner une fiction dans un style quasi-documentaire, de même qu’il excelle dans sa façon de filmer les corps avec une sensualité folle.

De plus, le réalisateur prend le pari de nous entraîner dans un trip psychédélique en plantant sa caméra pendant près d’1h30 en boîte de nuit, au son de la musique trépidante et au gré des déhanchements des protagonistes. Cette immersion totale, accrue par la projection cannoise nocturne du film, ne fait que renforcer la singularité de ce film et donc son attrait.

Mais comme souvent chez Kechiche, la polémique n’est jamais bien loin. Ici, elle prend la forme d’une scène de sexe ultra-réaliste entre l’actrice principale, Ophélie Bau, et Roméo De Lacour. Un cunnilingus d’une durée de 15 minutes, séquence suffisante pour entendre crier au scandale, voire à la pornographie ou mieux encore à un traitement avilissant de la femme par les tenants d’une certaine bien-pensance qui tend de plus en plus à avoir pignon sur rue.

Or, si la séquence incriminée dégage incontestablement un érotisme assez torride, elle n’a strictement rien de pornographique; la pornographie étant une représentation ultra-fantasmée et souvent outrancière de la sexualité. Ici, Kechiche représente avec réalisme une pratique sexuelle courante où, par ailleurs, c’est la femme qui prend du plaisir et non l’homme, contrairement, justement aux représentations machistes de la pornographie qui se concluent en règle générale par l’orgasme masculin.

Quoi qu’il en soit, la polémique n’a fait qu’enfler au lendemain de cette projection mémorable, Ophélie Bau refusant de participer à la conférence de presse, arguant du fait qu’elle n’a pas pu visionner la fameuse séquence incriminée avant sa projection. Un différend dont on espère qu’il n’empêchera pas la sortie du film en salles, et malgré lequel nous nous réjouissons que les sélectionneurs du Festival ait fait preuve d’audace en programmant ce long-métrage qui, en sortant des sentiers battus, est sans hésiter celui qui nous a laissé l’impression la plus décalée et donc la plus originale.

Olivier Clinckart

 

 

Le jeune Ahmed – Sélection officielle

 

♥♥♥

En Belgique, aujourd’hui, le jeune Ahmed se retrouve pris entre les idéaux conservateurs de pureté prodigués par son imam et les appels à la vie qui, inévitablement, se font jour chez cet adolescent de 13 ans.

Les frères Dardenne sont de retour pour la 8e fois sur la Croisette, avec un film au sujet brûlant d’actualité.

 

Deux exemples évocateurs de l’influence des célèbres frères Dardenne sur le cinéma mondial : en 2017, le prestigieux New York Times classait (en 14e position) L’enfant des frères parmi les 25 meilleurs films du XXIe siècle.

Mais ils sont également une grande source d’inspiration créatrice pour leurs pairs. Comme Darren Aronofsky, qui ne tarit pas d’éloges sur leur cinéma immédiatement identifiable. Et effectivement, quand Aronofsky colle sa caméra sur la nuque de Mickey Rourke en long plan-séquence dans son plus beau film à ce jour, The Wrestler, c’est aux Dardenne qu’il emprunte cette manière si singulière de faire, axée sur le corps.

Du cinéma en prise sur la crise

Les Dardenne ont fait éclore Jérémie Renier (au générique de Frankie également en Sélection officielle), Emilie Dequenne (A perdre la raison), Olivier Gourmet (Edmond), dont les qualités de jeu – élaborées dans le laboratoire des frères – ne se sont jamais démenties depuis.

Leur cinéma exigeant et motivé par l’urgence sociale les mène aujourd’hui pour la 8e fois au Festival de Cannes. Avec Le jeune Ahmed, qui conte l’histoire d’un adolescent qu’un désir de pureté et de prière amène à fréquenter un imam radical au risque de se perdre, on peut d’ores et déjà déduire, avant même d’avoir vu le film, que les frères reviennent à leurs fondamentaux : pas de stars au générique, une histoire simple et une belle économie de moyens. Les ingrédients parfaits pour les mener vers leur 3e Palme d’or, ce qui serait un fait unique dans l’histoire du Festival de Cannes ?

Interprété par le jeune Idir Ben Addi, Olivier Bonnaud (La fille inconnue) et Myriem Akhediou (Deux jours, une nuit), le film est produit par Les Films du Fleuve, en coproduction avec Archipel 35, France 2 Cinéma, Proximus, RTBF (Télévision belge), avec la participation de Canal +, Ciné +, France Télévisions, Wallimage (la Wallonie), la Région de Bruxelles-Capitale. Le film a également été produit avec l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de Eurimages, avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, de Casa Kafka Pictures, de Casa Kafka PicturesMovie Tax Shelter empowered by Belfius, en association avec Wild Bunch, Diaphana, Cinéart et BIM Distribuzione.

Thierry Van Wayenbergh

© photos: Christine Plenus