Niet vergeten (Ne pas oublier)
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Le 9 novembre 1985, des malfaiteurs commettent une attaque sanglante au supermarché Delhaize, à Alost. Ils tuent aveuglément 8 innocents. Parmi eux, Gilbert, Thérèse et Rebecca Van de Steen. Le petit David Van de Steen, âgé de 9 ans, est gravement blessé et reste orphelin. Ses parents et sa sœur sont les dernières victimes de ceux qui sévissent depuis 1982 et qu’on appelle les Tueurs du Brabant. David est alors recueilli par ses grands-parents qui s’efforceront de lui donner un avenir. Pendant plus de 25 ans, son grand-père continuera à lutter pour trouver les assassins.
Les Tueries du Brabant: le plus grand mystère criminel et judiciaire belge n’est toujours pas résolu, 36 ans après les premiers faits imputés à cette sinistre bande. En 2010, un des survivants, David Van de Steen, avait raconté son douloureux combat dans un livre, “Niet schieten, dat is mijn papa!” (“Ne tirez pas, c’est mon papa”), un titre reprenant les derniers mots prononcés par la soeur de David, juste avant qu’elle ne se fasse assassiner avec ses parents sur le parking du Delhaize d’Alost.
Le livre se voit aujourd’hui adapté au cinéma par Stijn Coninx, qui ne cherche donc pas à refaire l’enquête et encore moins à axer le récit sur les tueurs, mais bien à mettre en lumière le calvaire vécu par les victimes (28 morts et plusieurs dizaines de blessés!) depuis plus de trois décennies. La famille Van de Steen, durement touchée, sert de point central à un film intimiste et profondément touchant mais qui ne verse jamais dans le pathos. Si l’émotion est plus d’une fois au rendez-vous, la colère n’est pas absente pour autant: colère face aux misérables lâches qui ont brisé sans hésitation tant de vies, mais colère aussi face à l’enquête, cet incroyable gâchis qui a mené au fiasco le plus complet jusqu’à présent.
Etalant le parcours des principaux protagonistes sur 25 années, Niet Schieten se base en grande partie sur le témoignage de David Van de Steen, même si certaines scènes ont été imaginées par le scénariste pour les besoins du film. Si David est incarné par 3 comédiens (enfant, adolescent et adulte), le grand-père, lui, a les traits d’un seul acteur, mais quel acteur! Jan Decleir (Daens, Les barons, La mémoire du tueur…) est tout simplement époustouflant dans la peau d’Albert Van de Steen, à tel point que le vrai David a eu plus d’une fois l’impression d’avoir en face de lui son défunt grand-père, décédé en 2011. Passant par tous les sentiments, Decleir livre une prestation grandiose qui démontre, si besoin en était encore, qu’il est bien le plus grand acteur belge. A ses côtés, Viviane de Muynck, dans le rôle de la grand-mère, est tout aussi impressionnante. Si elle est moins connue du côté francophone, elle n’en est pas moins une actrice de théâtre et de cinéma mythique en Flandre, qu’on a pu voir en 2017 dans le touchant La langue de ma mère (Sprakeloos).
Si les faits relatés dans Niet Schieten sont inhérents à l’actualité judiciaire belge de ces 30 dernières années, le scénario prend toutefois soin de ne jamais rendre le récit trop hermétique, utilisant juste ce qu’il faut de références sans pour autant en abuser. Le film acquiert dès lors un aspect universel en ce sens que l’histoire peut s’appliquer à bon nombre de situations similaires, à chaque fois que les victimes ont été délaissées par un système peu apte à les prendre en charge et à mesurer l’ampleur du traumatisme vécu.
Ce n’est pas la moindre des qualités de ce long-métrage qui, malgré sa durée de 2h20, se laisse regarder avec une intensité de chaque instant. « Ne tirez pas! », suppliait la soeur de David, mais les assassins ont tiré. Aujourd’hui, grâce à Niet Schieten, « N’oubliez pas! » est le message essentiel que cet excellent film transmet brillamment aux spectateurs.
Olivier Clinckart
Olivier Clinckart