71e Berlinale: Fictions et documentaires

Pour terminer ce tour d’horizon quasi complet des films en Compétition officielle, il nous reste à évoquer deux fictions projetées à la presse en début de festival et deux documentaires projetés le dernier jour.

Au rayon fiction, Hong Sang-soo a proposé Introduction (1/2), racontant l’histoire de Youngho qui décide de rejoindre par suprise sa petite amie Juwon, laquelle vient de déménager à Berlin pour ses études. C’est le point de départ d’une succession de dialogues chers au réalisateur sud-coréen, dont une partie se déroule comme à l’accoutumée autour d’une table bien garnie et en dégustant quelques verres de soju, cet alcool dont les sud-coréens sont de grands consommateurs.

Tout aussi friand de cinéma, Hong Sang-soo tourne avec une frénésie presque boulimique. Pour preuve, il figure en Compétition officielle à Berlin pour la 2e année d’affilée! Un peu beaucoup, sans doute, pour encore prétendre à une véritable originalité avec ce film proche de l’art de l’aphorisme.

Park Miso, Shin Seokho - © Jeonwonsa Film Co. Production

Avec Albatros (♥♥) , Xavier Beauvois, lui, conforte sa position de fin observateur des émotions. Après dix ans de vie commune, Laurent, policier à Etretat, en Normandie, propose à sa compagne Marie de l’épouser. Si tout va bien au sein de leur famille, le métier de Laurent, qu’il adore, n’est pas exempt de risques . Entre les fauteurs de troubles en état d’ébriété ou des délits plus graves, les interventions ne manquent pas. Lorsqu’un fermier des environs perd les pédales, épuisé par des réglementations européennes qui l’étranglent, Laurent va se retrouver confronté à un terrible dilemme moral. Xavier Beauvois explore avec sobriété les notions de responsabilité et de perte de contrôle, avec une composition tout aussi en retenue de Jérémie Renier.

Jérémie Renier - © Guy Ferrandis

Deux documentaires clôturaient donc les projections en ligne pour la Compétition officielle. Comme dans Albatros, il est encore question de policiers dans A Cop Movie (♥♥), de Alonso Ruizpalacios, qui nous emmène au coeur de la police de Mexico City. Deux acteurs professionnels y vivent un processus immersif et s’inspirent du parcours de deux vrais représentants de l’ordre pour explorer cet univers si particulier, ce qui leur permet d’acquérir une meilleure compréhension de cette institution, parmi les plus controversées du Mexique.

Entre fierté de porter l’uniforme, courage et sens du devoir, mais aussi difficulté de rester intègre face à toutes les strates de corruption qui gangrènent le pays, ces hommes et femmes apportent un témoignage marquant sur leur travail au quotidien. Le réalisateur fait preuve d’audace en fictionnalisant son documentaire, le transformant ainsi en une sorte de film policier où la frontière entre fiction et réalité devient donc extrêmement floue. La démarche s’avère intéressante d’un point de vue formel, mais peut néanmoins déconcerter.

Raul Briones - © No Ficcion

Enfin, Mr. Bachmann and His Class (♥♥) traite d’identité et d’intégration au sein d’une école de Stadtallendorf, une bourgade allemande où enseigne Dieter Bachmann. Âgés de douze à quatorze ans, ses élèves viennent de douze nations différentes; certains ne maîtrisent pas correctement la langue allemande. Proche de la retraite, Bachmann a toujours eu à coeur d’inspirer ces citoyens en devenir, en développant chez eux le sens de la curiosité et du débat dans tous les domaines et tous les sujets d’opinions.

© Madonnen Film

Ce documentaire plein de sensibilité met en lumière le travail remarquable – qu’on pourrait qualifier de sacerdoce- d’un enseignant parmi tant d’autres. A travers son film, la cinéaste Maria Speth -accompagnée par son directeur de la photographie Reinhold Vorschneider- souligne à merveille toute l’importance de l’éducation. La longue durée de son film -3h37 !- le destine davantage à une diffusion télévisée en 2 ou 3 parties plutôt qu’à une projection sur grand écran, mais Herr Bachmann méritait sans nul doute les honneurs d’une participation à la Berlinale.

© Madonnen Film

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Un festival au féminin (II)

Avec Wheel of Fortune and Fantasy (♥♥1/2) , Ryusuke Hamaguchi met en avant plusieurs personnages féminins dans un film divisé en 3 sketches bien distincts mais qui connaissent tous une conclusion inattendue.

Triangle amoureux inattendu, piège de séduction raté et rencontre résultant d’un malentendu: voilà les composantes de ces 3 contes moraux qui amènent les protagonistes à poser des choix importants. Un peu à la manière d’un Eric Rohmer, le réalisateur japonais nous fait témoins de moments qui se cristallisent en des destinées universelles marquées par des choix, des regrets, des tromperies et des coïncidences.

Kiyohiko Shibukawa, Katsuki Mori - © 2021 Neopa/Fictive

Les séquences, qui se déroulent essentiellement en huis-clos, offrent également une radiographie de la société japonaise qui reste peu fréquente, en ce sens qu’elle se rapporte aux sentiments et à l’intime, incluant de ci de là une connotation érotique, en particulier au cours d’une lecture qui ne manque pas de sel. Avec ses dialogues travaillés et ses personnages attachants malgré leurs failles, Wheel of Fortune and Fantasy se laisse volontiers apprécier.

Fusako Urabe, Aoba Kawai - © 2021 Neopa/Fictive

La 70e Berlinale, en 2020, avait couronné There is No Evil, de Mohammad Rasoulof, ce dernier étant d’ailleurs membre du jury cette année. Et si, un an plus tard, l’Ours d’or revenait à nouveau à un film iranien? Cette performance, Ballad of a White Cow (♥♥♥1/2) mériterait de l’accomplir. Car les deux co-réalisateurs Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam développent magistralement un récit centré autour de la culpabilité et l’expiation.

Maryam Moghaddam - © Amin Jafari

Babak, le mari de Mina (qui est mère d’un enfant malentendant), a été exécuté après avoir été jugé coupable d’un meurtre. Or, un an après cette exécution, Mina est informée d’un élément qui va bouleverser une nouvelle fois profondément son existence. Peu de temps après, un inconnu nommé Reza frappe à sa porte, lui affirmant qu’il est venu rembourser une dette qu’il avait envers Babak. Mais les motivations de cet homme sont-elles aussi claires qu’il y paraît?

Alireza Sanifar - © Amin Jafari

Le film s’ouvre sur un extrait du Coran et de la sourate de la vache: « Et rappelez-vous quand Moïse a dit à son peuple: « Allah vous ordonne de tuer une vache ». Ils ont répondu: « Vous moquez-vous de nous? »  » Cette phrase prend peu à peu tout son sens, au fur et à mesure que les liens entre les protagonistes se précisent et que la critique même pas voilée du système judiciaire iranien et de la peine de mort qui y est encore appliquée se fait plus incisive. Avec ses dialogues brillants, une mise en scène irréprochable et l’interprétation magistrale de Maryam Moghaddam (qui est donc devant et derrière la caméra), Ballad of a White Cow pourrait fort bien prétendre à une balade vers la plus haute marche du podium berlinois.

Lilli Farhadpour, Maryam Moghaddam - © Amin Jafari

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Un Festival au féminin (I)

Cette 71e édition de la Berlinale aura permis de découvrir de beau portraits féminins dans les différentes sections du festival. Ainsi, dans la section Generation, le film suisse La Mif (♥♥♥), de Fred Baillif, ne sera pas passé inaperçu. La « mif » en langage « jeune », c’est la famille. Celle de sept jeunes filles qui vivent sous le même toit et ne se sont pas choisies, tout comme une famille. Sorties de milieux difficiles, elles sont hébergées au sein d’un foyer, où elles partagent joies et douleurs, se rebellent contre les failles de leur entourage et les injustices d’une existence qui ne les a pas gâtées. Lora, la directrice du foyer, est toujours là pour elles et se dévoue pour composer au mieux avec ses pensionnaires et les obligations auxquelles elle est soumise pour gérer ce genre de maison d’accueil.

Loin de l’image idéalisée qu’on peut avoir de la Suisse (celle d’un pays riche et paisible), La Mif en présente un autre aspect et pointe du doigt l’imperfection du système de protection de la jeunesse, ainsi que la fragilité des structures sociales. Tout en amenant une réflexion pleine de sensibilité sur le sens de ce qu’est une famille. Les jeunes actrices, impressionnantes de réalisme, ont collaboré étroitement avec le réalisteur dans le développement de leurs personnages. Il en résulte un film profond et intense qui n’a sûrement pas fini de faire parler de lui.

Anaïs Uldry, Amandine Golay, Amélie Tonsi, Kassia Da Costa, Sara Tulu, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy -
© Stéphane Gros / Lumière Noire

Dans la section Berlinale Special, qui présente des films hors compétition, le documentaire Tina (♥♥♥), de Dan Lindsay et T.J. Martin, rend un superbe hommage à Tina Turner, dans un témoignage en forme de quasi-testament spirituel. De ses débuts en duo avec Ike Turner à ses mémorables tournées mondiales dans les années 1980, la chanteuse se livre probablement comme jamais auparavant. Révélant ses luttes les plus intimes et partageant certains de ses moments les plus personnels, Tina nous permet de retrouver l’artiste dans un long entretien exceptionnel filmé en 2019 et entrecoupé de nombreuses images d’archives sur lesquelles il est quasi impossible de ne pas se mettre à danser devant l’écran.

Enfin, dans la Compétition officielle, Célina Sciamma explore à nouveau avec talent le monde de l’enfance avec Petite maman (♥♥). Nelly, huit ans, vient de perdre sa grand-mère bien-aimée et aide ses parents à nettoyer la maison d’enfance de sa mère. Elle explore la maison et les bois environnants où sa mère, Marion, jouait et où elle a construit la cabane dans les arbres dont Nelly a tant entendu parler. Un jour, sa mère part soudainement. C’est alors que Nelly rencontre une fille de son âge dans les bois, construisant elle aussi une cabane dans les arbres. Elle se prénomme également Marion.

Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz
© Lilies Films

Participant pour la deuxième fois à la Berlinale après Tomboy en 2011, Céline Sciamma y revient avec une œuvre intimiste et poétique baignant dans une belle lumière automnale. La réalisatrice interroge les grandes questions de la vie dans une perspective résolument féminine. Le pouvoir de la mémoire et de l’imagination sont explorés au cours d’un beau parcours émotionnel incarné par la grâce des deux jeunes interprètes, bluffantes de naturel.

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Cap à l’Est

Parmi les 15 films en Compétition officielle, 4 proviennent d’Europe de l’Est. En provenance de Hongrie, Natural Light (♥♥) développe un drame austère dont l’action se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1943, dans les vastes territoires de l’Union Soviétique occupée. István Semetka fait partie d’une unité spéciale hongroise pro-nazie chargée de se déplacer de village en village à la recherche de partisans pro-russes. Le groupe fait halte dans un de ces hameaux isolés, en se tenant sur ses gardes, persuadé que des partisans s’y cachent.

Ferenc Szabo - © Tamas Dobos

Pour son premier long-métrage, le réalisateur Dénes Nagy n’aborde pas seulement le thème de la guerre, mais aussi les dilemmes moraux constants auxquels peuvent être confrontés certains des hommes prenant part au combat. À quel point est-on coupable si on est témoin d’horribles événements que l’on n’a pas causés, mais auxquels on participe indirectement en se trouvant du côté de ceux qui en sont responsables? Ce dilemme insoluble, aux frontières du bien et du mal, le personnage principal y est confronté tout au long d’un récit imprégné d’une lumière blafarde. En évoquant cette portion d’histoire de la Hongrie, Dénes Nagy donne à penser qu’il appelle également à la réflexion quant à l’évolution actuelle -aux accents très nationalistes- de son pays.

© Tamas Dobos

De Hongrie également, Forest – I see you everywhere (1/2), se divise en sept récits en forme de miniatures hypnotiques et erratiques qui composent une sorte de kaléidoscope psychologique. Bence Fliegauf a travaillé aussi bien avec des acteurs amateurs que professionnels pour ce long-métrage au budget minimaliste qui fait la part belle aux dialogues fiévreux, dans une atmosphère quasi claustrophobe. Abordant diverses thématiques de l’existence, le film constitue une démarche d’auteur certes intéressante, mais qui peine néanmoins à captiver, sans doute parce que chacun de ces récits pris à part laisse une sensation d’inabouti.

© Ákos Nyoszoli, Mátyás Gyuricza

Encore un peu plus à l’est, en provenance de Géorgie, What Do We See When We Look at The Sky ? () est un des 2 plus longs films de la Compétition officielle (150 minutes). Ce récit en forme de conte traite d’une rencontre fortuite aux portes d’une école, dans une petite ville géorgienne. Lisa et Giorgi se croisent et tombent immédiatement sous le charme l’un de l’autre.

Ani Karseladze - © Faraz Fesharaki / DFFB

Ils se donnent rendez-vous pour le lendemain, mais un sortilège fait en sorte qu’au lever du jour, ils se réveillent tous deux sous une apparence complètement différente. Ils n’ont donc aucune chance de se reconnaître. S’il se dégage une poésie indéniable de l’histoire, la naïveté du ton, la longueur du film et la voix off trop fréquente qui assure la narration constituent autant de faiblesses qui nuisent à l’ensemble.

Giorgi Bochorishvili - © Faraz Fesharaki / DFFB

Le meilleur sera donc pour la fin, avec un film roumain au titre aussi énigmatique que farfelu, Bad Luck Banging or Loony Porn (♥♥) , mais qui dévoile d’emblée son caractère iconoclaste. Nous tombons en effet en pleine sex-tape montrant sous toutes les coutures -et sans filtre pudique!- les ébats d’un couple visiblement très inspiré. Pas de chance néanmoins pour les 2 « héros » de cette vidéo très éducative: la séquence est tombée entre des mains mal intentionnées et s’est retrouvée mise en ligne sur des sites pornographiques, au grand désespoir de la principale protagoniste, facilement reconnaissable et qui officie en tant qu’enseignante dans une institution huppée de Bucarest.

Katia Pascariu - © Silviu Ghetie / Micro Film 2021

Radu Jude revient en toute bonne forme avec cette farce grinçante qui dézingue les travers de la société roumaine et l’hypocrisie de la société en général. Avec sa construction particulière -3 parties distinctes dont la 2e fait quasiment figure de long interlude- Bad Luck Banging or Loony Porn constitue une proposition aussi déconcertante qu’originale, truffée de pointes d’un humour tantôt cynique, tantôt absurde, qui rendent le propos d’autant plus percutant.

Katia Pascariu - © Silviu Ghetie / Micro Film 2021

Olivier Clinckart

71e Berlinale: Entre passé et futur

Pour ce premier jour de Berlinale virtuelle, le passé et le futur se sont côtoyés dans deux des films en Compétition officielle.

Le passé tout d’abord, avec le très beau Memory Box (♥♥♥), de Joana Hadjithomas and Khalil Joreige, qui évoque le souvenir douloureux de la guerre civile au Liban, dans les années 80. De nos jours, Maia vit à Montréal avec sa mère Téta et Alex, sa fille adolescente. La veille de Noël, une caisse est livrée à leur domicile. Elle contient les journaux, cassettes audio et photos que Maia avait confiés à sa meilleure amie lors de son départ du Liban. Si Maia refuse d’ouvrir ce tiroir aux souvenirs, Alex, elle, ne résiste pas à la tentation de découvrir secrètement quelle a pu être la jeunesse de sa mère que cette dernière n’évoque jamais.

Clémence Sabbagh (Téta), Paloma Vauthier (Alex), Rim Turki (Maia)
© Haut et Court - Abbout Productions - Micro_Scope


Difficile d’affronter les blessures du passé, surtout quand elles s’inscrivent dans un contexte aussi tourmenté que celui de la guerre. Mais en ouvrant la boîte de Pandore, la fille de Maia va pousser sa mère à enfin faire face. Depuis de nombreuses années, les 2 co-réalisateurs, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, s’interrogent sur le rôle de la mémoire dans la création d’images et l’écriture de l’histoire contemporaine. Le couple s’est inspiré ici des propres journaux et bandes audio de Joana et des photographies de guerre de Khalil pour construire l’histoire de Maia et Alex. Cette démarche personnelle débouche sur un film touchant qui ne cherche jamais à forcer l’émotion mais livre un dialogue intergénérationnel sur fond de découverte de ses racines et de réflexion universelle sur les ravages de la guerre. Pour autant, cette fiction se révèle pleine de vie et d’espoir et nous offre une belle prestation des actrices principales.

Manal Issa, Rea Gemayel, Michele Bado, Reina Jabbour -
© Haut et Court - Abbout Productions - Micro_Scope

Dans un tout autre registre, Ich bin dein Mensch / I’m Your Man (♥♥) nous plonge dans un futur hypothétique, mais pour combien de temps encore, au vu des évolutions galopantes de la technologie? Le film raconte l’histoire de Alma, une scientifique qui accepte de participer à une expérience extraordinaire. Pendant trois semaines, elle va vivre avec Tom, un robot humanoïde dont l’intelligence artificielle a été conçue pour lui permettre de représenter le partenaire de vie idéal de la jeune femme. Bien déterminée à ne pas laisser son esprit cartésien être décontenancé par cette machine, Alma va peu à peu se rendre compte qu’il n’est pas si simple de savoir raison garder.

Dan Stevens (Tom), Maren Eggert (Alma)
© Christine Fenzl

Métaphore poussée à l’extrême des rencontres virtuelles, I’m Your Man développe un conte tragi-comique qui explore habilement les notions d’amour et de désir dans une société moderne où les relations amoureuses se sont retrouvées chamboulées par l’apparition de moyens de communication permettant à tout un chacun d’établir un menu bien précis de qu’il souhaite ou ne souhaite pas. Au risque de ne plus laisser aucune chance au hasard. Maria Schrader, récompensée en 1999 à la Berlinale en tant qu’actrice pour Aimée et Jaguar, réalise le présent film et met en vedette un duo qui fait preuve d’une belle alchimie, Maren Eggert et Dan Stevens. Sandra Hüller (Toni Erdmann, Une valse dans les allées) est également de la partie dans un second rôle.

Dan Stevens, Sandra Hüller
© Christine Fenzl

Olivier Clinckart

71e Berlinale: virtuellement vôtre

En février 2020, la 70e Berlinale était le dernier grand festival européen à s’être tenu dans des conditions normales, juste avant que la pandémie de coronavirus ne mette quasiment le monde entier à l’arrêt. Un an plus tard, du 1er au 5 mars, la 71e Berlinale sera le premier grand festival européen à se tenir de manière entièrement virtuelle, proposant aux professionnels du marché du film ainsi qu’aux journalistes de découvrir les nombreux films présentés en ligne. Néanmoins, si les conditions sanitaires le permettent, une édition physique à destination du public se tiendra du 9 au 20 juin et projettera les films qui auront été vus et primés début mars. Reste à croiser les doigts pour que cet hypothétique évènement puisse avoir lieu!

En attendant, 15 films se disputeront l’Ours d’Or et les différents prix annexes dans la Compétition officielle:

Albatros (Drift Away)
France
de Xavier Beauvois
avec Jérémie Renier, Marie-Julie Maille, Victor Belmondo

Babardeală cu bucluc sau porno balamuc (Bad Luck Banging or Loony Porn)
Roumanie / Luxembourg / Croatie / République Tchèque
de Radu Jude
avec Katia Pascariu, Claudia Ieremia, Olimpia Mălai

Fabian oder Der Gang vor die Hunde (Fabian – Going to the Dogs)
Allemagne
de Dominik Graf
avec Tom Schilling, Saskia Rosendahl, Albrecht Schuch

Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow)
Iran / France
de Behtash Sanaeeha, Maryam Moghaddam
avec Maryam Moghaddam, Alireza Sanifar

Guzen to sozo (Wheel of Fortune and Fantasy)
Japon
de Ryusuke Hamaguchi
avec Kotone Furukawa, Kiyohiko Shibukawa, Fusako Urabe

Herr Bachmann und seine Klasse (Mr Bachmann and His Class)
Allemagne
de Maria Speth
avec Dieter Bachmann and pupils of class 6b

Ich bin dein Mensch (I’m Your Man)
Allemagne
de Maria Schrader
avec Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller

Inteurodeoksyeon (Introduction)
République de Corée
de Hong Sangsoo
avec Shin Seokho, Park Miso, Kim Minhee

Memory Box
France / Liban / Canada / Qatar
de Joana Hadjithomas, Khalil Joreige
avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier

Nebenan (Next Door)
Allemagne
de Daniel Brühl
avec Daniel Brühl, Peter Kurth

Petite Maman
France
de Céline Sciamma
avec Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse

Ras vkhedavt, rodesac cas vukurebt? (What Do We See When We Look at the Sky?) Allemagne / Géorgie
de Alexandre Koberidze
avec Ani Karseladze, Giorgi Bochorishvili, Vakhtang Fanchulidze

Rengeteg – mindenhol látlak (Forest – I See You Everywhere)
Hongrie
de Bence Fliegauf
avec Laura Podlovics, István Lénárt, Lilla Kizlinger, Zsolt Végh, László Cziffer, Juli Jakab, Ági Gubík

Természetes fény (Natural Light)
Hongrie / Lettonie / France / Allemagne
de Dénes Nagy
avec Ferenc Szabó, Tamás Garbacz, László Bajkó

Una película de policías (A Cop Movie)
Mexique
de Alonso Ruizpalacios
avec Mónica Del Carmen, Raúl Briones

Le jury officiel est composé cette année d’anciens lauréats de l’Ours d’Or: Mohammad Rasulof (Iran), Nadav Lapid (Israël), Adina Pintilie (Roumanie), Ildikó Enyedi (Hongrie), Gianfranco Rosi (Italie) et Jasmila Žbanić (Bosnie-Herzegovine).

Olivier Clinckart

Retour sur la 77e Mostra de Venise (IV)

The Truth About La Dolce Vita ♥♥♥

Vers la fin de 1958, Federico Fellini traverse une période compliquée de sa carrière. Il avait déjà remporté deux Oscars pour La Strada et Les nuits de Cabiria mais personne ne voulait produire son dernier projet : une histoire intitulée La Dolce Vita. Seul Giuseppe Amato, qui avait déjà produit des grands succès comme Umberto D. ou Don Camillo, a compris la nature extraordinaire du sujet. C’est le point de départ du film italien le plus populaire jamais vu à l’étranger et d’un processus de production extrêmement tourmenté marqué par des disputes furieuses entre le réalisateur et les producteurs, des menaces et des revers.

Soixante ans après sa production et pour marquer le centenaire de la naissance de Fellini (1920-1993), The Truth About La Dolce Vita décrit de manière passionnante la genèse de l’un des chefs-d’œuvre les plus emblématiques de l’histoire du cinéma. Bénéficiant d’une reconstitution de décors réussie, de nombreuses séquences d’archives et des témoignages des protagonistes du film, le documentaire se fait le témoin d’une extraordinaire histoire d’amour pour le cinéma : celle d’un producteur pour son film, prêt à tout donner pour que le projet puisse aboutir.





The Truth About La Dolce Vita

Hopper/Welles ♥♥♥

Orson Welles avait rencontré Dennis Hopper en 1971 pour une conversation à bâtons rompus qui était restée dans les tiroirs jusqu’à présent. Elle a été ressortie des archives pour le plus grand plaisir des cinéphiles qui peuvent écouter ces deux grands noms du cinéma aborder des sujets dont certains n’ont rien perdu de leur actualité de nos jours. Un réalisateur est-il un « dieu » ou un « magicien » ? L’Amérique survivra-t-elle à sa propre violence ?

Projetée Hors Compétition, cette conversation intime et révélatrice entre deux géants du cinéma, enfin rendue accessible à tous, s’avère être une pièce essentielle de l’histoire du cinéma, à la charnière d’une industrie en pleine évolution.

Hopper/Welles

Dear Comrades! ♥♥♥

Novocherkassk, une ville de province dans le sud de l’URSS en 1962. Lioudmila est une fonctionnaire farouchement dévouée au Parti Communiste. Sa fille décide de participer à la grève d’une usine locale et les événements prennent une tournure tragique. Les autorités dissimulent la violence de la répression. Lioudmila se lance alors dans une quête éperdue à la recherche de sa fille disparue.

Andrey Konchalovsky est un vieux de la vieille, et à 83 ans, entre la Mostra et lui c’est une grande histoire d’amour, puisque son premier court-métrage y avait déjà été récompensé en 1962! Si vous n’avez jamais entendu parler du massacre évoqué dans son dernier films, rien d’étonnant à cela, puisqu’il a été occulté par le pouvoir pendant près de 30 ans et que encore aujourd’hui, il reste difficile d’établir les vértitables responsabilités des faits. Le film met en lumière ces faits méconnus et nous ramène à tous les excès du totalitarisme.

Comme l’explique le réalisateur, « Je voulais faire un film sur la génération de mes parents, celle qui a combattu et survécu à la Seconde Guerre mondiale avec la conviction qu’il était honorable de mourir pour la patrie, pour Staline et avec une confiance inconditionnelle dans les objectifs du communisme : créer une nouvelle société grâce aux efforts de millions de personnes. Je voulais reconstituer avec la plus grande précision les événements qui se sont réellement passés et une époque où l’histoire a révélé le fossé infranchissable entre les idéaux communistes et la réalité tragique des faits. Ce film est un hommage à la pureté de cette génération, à ses sacrifices et à la tragédie qu’elle a vécue en voyant ses mythes s’effondrer et ses idéaux trahis. »

De cette reconstitution romancée, Konchalovsky tire une réflexion aussi pertinente que percutante sur les abus des régimes totalitaires. Brillamment interprété, Dear Comrades ! méritait largement le Prix spécial du Jury reçu à la Mostra.

Dear Comrades!

Nuevo Orden ♥♥♥

Dans ce drame dystopique captivant et plein de suspense, un somptueux mariage au sein de deux familles de la classe aisée tourne mal, en plein soulèvement inattendu des classes populaires. Vu à travers les yeux de la jeune mariée et des serviteurs qui travaillent pour et contre sa riche famille, Nuevo Orden retrace l’effondrement d’un système politique et son remplacement par un régime encore plus clivant.

Un film coup de poing que cette brillante dystopie de Michel Franco qui s’est vu décerner le Grand Prix du Jury, même si le réalisateur précisait que les choses se déroulaient déjà en partie de la sorte aujourd’hui : «Nuevo Orden est une vision dystopique du Mexique, mais elle n’est que légèrement différente de la réalité. Les disparités sociales et économiques deviennent actuellement généralisées et insoutenables. Ce n’est pas la première fois que ce pays et le monde sont confrontés à un scénario similaire et que des gouvernements corrompus ont historiquement répondu à toutes les protestations par une violence dictatoriale. Ce film est un avertissement : si l’inégalité n’est pas abordée par des moyens civiques, et si toutes les voix dissidentes sont réduites au silence, le chaos s’ensuit. »

A cet effet, il est intéressant de constater que les deux prix majeurs de la Mostra cette année sont revenus à des films –Nuevo Orden et Nomadland– qui, chacun à leur manière et à chaque fois très efficacement, traitent des laissés-pour-compte de la société. Tout comme l’était déjà Joker l’an dernier à Venise. Mais il est vrai que le cinéma est souvent le reflet de son époque et les jurys de festival récompensent régulièrement des films qui vont dans ce sens. Cette proposition de cinéma très radicale en séduira certains autant qu’elle pourra en choquer d’autres, mais quoi qu’il en soit, impossible de sortir de la vision sans en être secoué.

Nuevo Orden

Nomadland ♥♥♥

Après l’effondrement économique de la cité ouvrière de Empire, dans le Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle.

Chloé Zhao avait réalisé il y a 3 ans The Rider, qui racontait l’histoire d »une ex-étoile montante du rodéo qui essayait de trouver un nouveau sens à sa vie après un accident. Son nouveau film est basé sur le livre Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century, de Jessica Bruder, paru en 2017.

Une autre découverte littéraire a été marquante pour elle: « À l’automne 2018, lors du tournage de Nomadland à Scottsbluff, dans le Nebraska, près du champ gelé d’une récolte de betteraves, j’ai feuilleté Desert Solitaire, d’Edward Abbey, un livre que m’a offert une personne que j’ai rencontrée sur la route. Je suis tombé sur cette citation : « Les hommes vont et viennent, les villes s’élèvent et s’effondrent, des civilisations entières apparaissent et disparaissent, la terre demeure, légèrement modifiée. La terre demeure, et la beauté déchirante où il n’y a pas de cœur à briser… Je choisis parfois de penser, sans doute de manière perverse, que l’homme est un rêve, la pensée une illusion, et que seul le rocher est réel. Roche et soleil. « 

Ayant grandi dans les villes de Chine et d’Angleterre, j’ai toujours été profondément attirée par la route ouverte – une idée que je trouve typiquement américaine – la recherche sans fin de ce qui se trouve au-delà de l’horizon. J’ai essayé d’en saisir un aperçu dans ce film, sachant qu’il n’est pas possible de vraiment décrire la route américaine à une autre personne. Il faut le découvrir par soi-même. »

De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern -impeccable Frances McDormand- et l’accompagnent dans sa découverte des vastes étendues de l’Ouest américain.. On suit ses pérégrinations avec une certaine émotion, sans pour autant jamais tomber dans le pathos, mais ce portrait est très profond et captivant d’un bout à l’autre, grâce à la profonde humanité qui se dégage des personnages.

Nomadland oscille donc constamment avec brio entre fiction et documentaire. Ainsi, la localité de Empire existe réellement. Si le sujet parle d’une réalité méconnue liée aux Etats-Unis, impossible de ne pas faire le parallèle avec nos contrées, où les disparités sociales ne cessent, ici aussi, de se creuser toujours davantage. Dernier film en compétition projeté lors de cette 77e Mostra, il en est reparti triomphalement avec un Lion d’Or dont personne ne contestera la légitimité.

Nomadland

Olivier Clinckart

Retour sur la 77e Mostra de Venise (III)





The Macaluso Sisters ♥♥

Maria, Pinuccia, Lia, Katia, Antonella. Nous suivons le parcours à travers l’enfance, l’âge adulte et la vieillesse de ses cinq sœurs nées et élevées dans un appartement au dernier étage d’un petit immeuble de la banlieue de Palerme, où elles vivent seules, sans leurs parents. Une maison qui porte les marques du temps qui passe, comme ceux qui y ont grandi et y vivent encore. L’histoire de cinq femmes, d’une famille, de qui part, qui reste et qui résiste.

Divisé en trois chapitres, dont chacun correspond à un âge particulier des cinq soeurs, The Macaluso Sisters vaut d’abord par un solide numéro de comédiennes, puisque pas moins de douze d’entre ellles prêtent leurs traits à ces femmes aux différentes périodes de leur vie. Et de temps, il est évidemment et forcément sans cesse question tout au long de l’histoire, comme le confirme la réalisatrice Emma Dante, qui adapte ici sa propre pièce de théâtre au titre éponyme: « C’est un film sur le temps. A propos de la mémoire. A propos de choses qui durent. A propos de personnes qui restent même après leur mort. C’est un film sur la vieillesse en tant qu’incroyable ligne d’arrivée de la vie. »

Si ce portrait collectif qui traverse les époques présente un charme indéniable, de même qu’il pose des questions pertinentes sur l’existence, les longues ellipses entre chaque période rendent parfois complexes l’identification des différents personnages, créant à chaque fois une cassure narrative pas toujours bénéfique au récit.

Le Sorelle Macaluso

Wife of a Spy ♥1/2

A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Yusaku Fukuhara, petit notable du port de Kobe décide de se rendre en Mandchourie. A son retour de Chine, il n’est plus le même et agit très étrangement. Sa femme Satoko s’interroge: la trompe-t-il ? Que s’est-il passé là-bas ? Au même moment, Satoko est contactée par un ami d’enfance et policier militaire, Taiji Tsumori. Il lui apprend qu’une femme que son mari a ramenée de Mandchourie est décédée. Satoko est déchirée par la jalousie et affronte Yusaku. Mais lorsqu’elle découvre les véritables intentions de son époux, elle est prête à tout pour assurer sa sécurité et leur bonheur.

« C’est mon premier film qui se déroule dans le passé, expliquait Kiyoshi Kurosawa. Avec la chronologie historique et les événements déjà fixés, j’ai réfléchi avec intérêt en imaginant à quel point les gens ont dû se sentir tourmentés intérieurement lorsqu’ils ont du se confronter à des lendemains très incertains, sans savoir de quoi l’avenir serait fait. »

Si l’on peut reconnaître d’indéniables qualités de mise en scène à Wife of a Spy, Kiyoshi Kurosawa déçoit toutefois en partie avec ce long-métrage qui commence plutôt bien et parvient à captiver dans un premier temps, mais qui tend à devenir de plus en plus insipide au fur et à mesure que le récit avance, donnant ainsi l’impression d’un montage quelque peu bâclé afin que le film puisse être prêt in extremis pour la Mostra. Dans cette optique, le prix du Meilleur réalisateur attribué à Kurosawa peut surprendre.

Wife of a Spy

And Tomorrow the Entire World ♥♥

L’Allemagne est frappée par une violente série d’attentats terroristes racistes. Luisa, 20 ans et issue d’une famille aisée, rejoint une subdivision du mouvement Antifa pour s’opposer à ces redoutables groupements néo-nazi. Par ses actions pas toujours très réfléchies, la jeune femme lutte non seulement contre l’extrême droite, mais essaie également d’impressionner Alfa, une militante dont elle est secrètement amoureuse. Bientôt, les choses dégénèrent et Luisa et ses amis s’affrontent sur la question de savoir si la violence pourrait devenir une réponse politique légitime au fascisme et à la haine.

Si la mise en scène de And Tomorrow the Entire World s’avère des plus classiques, elle n’en met pas moins en avant une problématique qui tend à s’étendre dans de nombreux pays démocratiques. Ainsi que l’explique la réalisatrice Julia von Heinz, « avec mon propre passé d’activiste de gauche, je me demande chaque jour comment je peux utiliser le cinéma, cette belle forme d’art, pour réfléchir sur notre climat politique actuel. J’espère que mon film déclenchera une discussion sur la façon dont nous voulons vivre les uns avec les autres. Ce n’est pas seulement une histoire sur la forte division qui traverse l’Allemagne, mais sur celle qui traverse toute notre société occidentale. »

Ce questionnement est assez efficacement porté à l’écran dans un récit linéaire bien structuré et qui parvient à tenir en haleine.

And Tomorrow the Entire World

Kinshasa Now ♥♥1/2

Signalons également le seul film belge présent à Venise, et plus précisément dans la compétition VR (réalité virtuelle): Kinshasa Now, réalisé par Marc-Henri Wajnberg. Il nous immerge pleinement dans les rues de la capitale de la République Démocratique du Congo, où l’on y suit un groupe de jeunes gamins dans un film joliment maitrisé, non seulement du point de vue technique mais aussi au niveau du scénario, prouvant ainsi à quel point cette technologie en plein essor semble prometteuse de beaux lendemains pour l’industrie du 7e Art.

Kinshasa Now

Olivier Clinckart

Retour sur la 77e Mostra de Venise (II)

Laila in Haifa

Au cours d’une nuit, dans un club d’Haïfa où palestiniens et israéliens se côtoient, s’entrelacent les chemins de cinq femmes à travers une série de rencontres et de situations, défiant toutes les catégories et étiquettes sociales, politiques et sexuelles.

Avec un casting d’acteurs israéliens et palestiniens, le film se veut un drame empeint d’un humour ironique, ainsi qu’une réflexion sensible et résolument humaniste de la vie dans la région. Tout en posant quelques questions importantes : comment les arts peuvent-ils créer un espace dans lequel les gens peuvent exprimer leurs différentes identités, tout en recherchant des moyens de coexistence mutuelle et pacifique ? Comment le langage du cinéma utilisant la juxtaposition de fragments d’histoires peut-il créer un tissu humain commun ?

L’ambition de Laila in Haifa est donc des plus nobles, mais à l’arrivée, le dernier film de Amos Gitai se révèle être une grosse déception. Un sujet aussi intéressant que celui-là qui aurait pu donner lieu à des dialogues beaucoup plus profonds, mais le réalisateur en tire une sorte de téléfilm sans grand entrain dont on se lasse très rapidement.

Laila in Haifa

In Between Dying ♥1/2

Davud est un jeune homme incompris et agité à la recherche de sa « vraie » famille, ceux dont il est certain qu’ils apporteront un sens et de l’amour à sa vie. Quand, au cours d’une journée, il vit une série inattendue d’accidents avec des personnes qui entraînent à chaque fois un décès, des souvenirs invisibles, des récits et des inquiétudes refont surface. Davud est propulsé dans un voyage de découverte.

Le réalisateur Hilal Baydarov parlait en ces termes de son long-métrage : « Une préoccupation centrale dans tout mon travail est la personne qui essaie de comprendre la raison pour laquelle elle est vivante, présente, ici, dans ce monde. La personne qui ne peut pas aimer, mais qui ne croit qu’en l’amour. La personne qui essaie de retrouver sa vraie famille, certaine que cela apportera un vrai sens à sa vie. Davud est la personne dans cette histoire, qui nous rappelle la possibilité de l’amour. Je voulais visualiser son chemin d’une manière ou d’une autre, et c’est devenu le film In Between Dying. »

Des éclaircissements loin d’être inutiles, car le récit, volontiers métaphorique, tend à perdre le spectateur et peine à garder l’intérêt intact pour cette production dont la principale curiosité réside dans le fait de permettre de découvrir une facette du cinéma d’Azerbaïdjan et de certaines réalités de ce pays, très largement méconnus.

In Between Dying

Never Gonna Snow Again ♥♥

Zhenia, un masseur venu de l’Est entre dans la vie des habitants aisés d’une petite localité qui ressemble à tant d’autres. Mais malgré leur aisance matérielle, les habitants dégagent une tristesse intérieure, une nostalgie, que les mains du mystérieux nouveau venu s’emploient à guérir.

Pour les deux co-réalisateurs de ce film polonais, Małgorzata Szumowska et Michał Englert, «  le mot “ neige “ peut avoir une variété de significations et évoquer de nombreuses émotions différentes. Cela peut être un élément féroce, dévorant et dangereux ; mais aussi source de sécurité et de confort, une couverture qui nous replonge dans les contes de fées de notre enfance. De nos jours, cependant, nous l’associons principalement à la destruction du climat de la Terre par l’homme et, par conséquent, à la lente disparition de la neige de nos vies. »

Les personnages du film, eux aussi, manquent de neige, c’est-à-dire d’une spiritualité que leur confort matériel et financier ne parvient pas à combler. L’arrivée de cet inconnu va leur apporter l’espoir d’un renouveau sensoriel et spirituel.

Oscillant entre drame et comédie, cette fable sociale ne manque pas de fasciner par la douce poésie qui s’en dégage et par sa photographie léchée. Et ce, même si l’abondance de métaphores qui s’en dégage en rend la lecture parfois complexe, donnant l’impression que nous ne détenons pas toutes les clés du récit.

Never Gonna Snow Again

Notturno ♥♥

Notturno, tourné sur trois ans au Moyen-Orient, raconte le quotidien qui se cache derrière la tragédie continue des guerres civiles, des dictatures féroces, des invasions et ingérences étrangères, jusqu’à l’apocalypse meurtrière. de Daesh. Violence et destruction prédominent, et pourtant l’humanité se réveille après chaque épisode d’une « nocturne » qui semble infinie.

Déjà Lion d’Or à Venise en 2013 avec Sacro GRA, Ours d’Or à Berlin en 2016 avec Fuocoamarre, Gianfranco Rosi poursuit son exploration de la complexité de certaines situations dramatiques. Et quoi de plus complexe que le bourbier dans lequel sont enlisés la Syrie, l’Irak, le Kurdistan et le Liban, rongés par le terrorisme et la guerre civile ? Le contraste est évidemment violent entre la beauté des paysages et le chaos qui y règne au sein de populations impuissantes soumises à la folie des hommes.

C’est ce qu’a voulu montrer et raconter Rosi : « Pendant trois ans à voyager au Moyen-Orient, j’ai rencontré des gens qui vivent dans des zones de guerre. Je voulais raconter les histoires, montrer les personnages, au-delà des conflits. Je me suis tenu à l’écart de la ligne de front, je suis plutôt allé là où les gens essaient de refaire leur existence. Aux endroits où j’ai filmé l’écho de la guerre arrive, on entend sa présence oppressante, ce fardeau si lourd qu’il empêche toute projection dans le futur. J’ai tenté de raconter le quotidien de ceux qui vivent le long de la frontière qui sépare la vie de l’enfer. »

Il en découle de nombreuses tranches de vie, de témoignages parfois très forts, surtout lorsque des enfants se mettent à dessiner l’horreur des atrocités auxquelles ils ont assisté. Des moments-clés profondément marquants qui compensent les quelques longueurs de ce documentaire.

Notturno

Olivier Clinckart

Retour sur la 77e Mostra de Venise (I)


© Olivier Clinckart

Lorsqu’il y a quelques mois, en pleine pandémie du coronavirus, Alberto Barbera, le directeur de la Mostra, avait annoncé que le Festival se tiendrait comme prévu du 2 au 12 septembre 2020, peu d’observateurs croyaient en la faisabilité d’un tel évènement de grande envergure en cette période si complexe. Le Festival de Cannes avait bien été obligé de déclarer forfait au mois de mai, devant le casse-tête logistique qui se présentait à eux, se contentant, contraint et forcé, de délivrer un label Cannes 2020 à une sélection de films qui bénéficieraient ainsi d’une visibilité accrue lors de leur présentation dans d’autres festivals ou à leur sortie en salles.

Force est de constater que les sceptiques avaient tort de l’être: la 77e Mostra de Venise a bel et bien eu lieu et on peut même parler d’un réel succès, compte tenu des circonstances.


© Olivier Clinckart

Certes, pas de stars américaines, pas de tapis rouge visible et accessible pour les fans, pas ou très peu de glamour, moins de journalistes étrangers présents… mais une organisation irréprochable, qui a su mettre en place un système de réservation très efficace pour les projections et instaurer un sentiment de sécurité sanitaire à l’intérieur du périmètre de la Mostra, sur l’île du Lido.

Et une programmation sans doute moins relevée que pour une année normale, mais qui a tout de même permis de découvrir quelques très bons films, dont le Lion d’Or (Nomadland) et le Grand Prix du Jury (Nuevo Orden). Là aussi, le jury présidé par Cate Blanchett aura établi un palmarès globalement très cohérent, tout en délaissant un cinéma trop auteurisant -voire hermétique- pour récompenser des longs-métrages qui soient à la fois de qualité et accessibles au grand public.


© Olivier Clinckart

Les compte-rendus qui suivent évoquent les 10 films (sur les 18) de la Compétition officielle que nous avons pu voir à Venise cette année, ainsi que plusieurs films présentés Hors Compétition et dans les sections parallèles.

Olivier Clinckart