Les verdicts sont tombés : Tom Tykwer et ses jurés ont décerné leurs récompenses aux heureux lauréats. En voici la liste, suivie de quelques commentaires.
À noter tout d’abord que le prix du Meilleur 1er film (l’équivalent de la Caméra d’or cannoise) a été décerné à Touch Me Not, de Adina Pintilie.
Prix Alfred-Bauer (qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière): Las herederas (The Heiresses). Oser affirmer que ce film d’un classicisme total ouvre de nouvelles perspectives ou offre une vision esthétique novatrice est pour le moins surprenant ! Sans doute faut-il y voir plutôt un choix consensuel, vu le sujet du film et le contexte sociétal paraguayen dans lequel il s’inscrit.
Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique: Elena Okopnaya pour les costumes de Dovlatov. Là encore, probablement un choix plus politique que réellement artistique, compte tenu du thème et du parallèle que certains ne manqueront pas de faire avec la situation actuelle de la Russie.
Ours d’argent du Meilleur scénario : Manuel Alcala et Alonso Ruizpalacios pour Museum. Choix véritablement stupéfiant, tant le scénario de ce film ne présentait rien d’original par rapport à de nombreux autres films en compétition.
Ours d’argent du Meilleur acteur: Anthony Bajon pour La prière. Nous avions salué sa belle prestation, de là à la trouver supérieure à celle de Joaquin Phoenix et Franz Rogowski, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Le jeune comédien a indubitablement un bel avenir devant lui, mais cette récompense prestigieuse vient trop tôt, surtout compte tenu de l’excellente interprétation des deux acteurs cités ci-dessus et tous deux scandaleusement oubliés.
Ours d’argent de la Meilleure actrice : Ana Brun pour Las herederas (The Heiresses). Consternation de voir primée une comédienne ayant proposé un jeu sans relief, à l’image d’un film qui fait preuve d’une fausse audace en n’osant jamais aller jusqu’au bout de son propos.
Ours d’argent du Meilleur réalisateur: Wes Anderson pour Isle of Dogs. Nous avions placé le film dans notre palmarès, il méritait en effet de ne pas repartir bredouille.
Ours d’argent – Grand Prix du jury: Mug, de Malgorzata Szumowska. C’était notre Grand Prix idéal également. Trois ans après son sacre de Meilleure réalisatrice de la Berlinale 2015 pour Body, la cinéaste franchit donc un nouveau palier avec cette satire grinçante de la société polonaise et du poids écrasant de la religion.
Ours d’or du Meilleur film: Touch Me Not, de Adina Pintilie ! Nous l’avions vu également figurer au palmarès. En obtenant la récompense suprême à Berlin (en plus de celle du Meilleur premier film), le film est doublement récompensé pour l’incroyable audace dont il fait preuve. Reste à voir désormais qui seront les distributeurs (dans nos pays francophones) qui auront le courage de le sortir en salles.
Au final, un palmarès en demi teinte donc, mis à part pour les prix attribués à Mug, Isle of Dogs et Touch Me Not. Grosse déception par contre de voir Utøya 22.Juli et In the Aisles être complètement ignorés par le jury. Il en va de même pour les Ours d’argent des Meilleur acteur et Meilleure actrice, qui n’auraient jamais dû échapper à Joaquin Phoenix (ou Franz Rogowski) et Leonore Ekstrand. Palmarès très paradoxal également, puisque l’audace de choix tels que Touch Me Not, Mug et dans une certaine mesure Isle of Dogs, côtoie d’autres choix profondément consensuels. Mais ainsi en est-il en général des jurys des grands festivals européens. Et on se réjouira tout de même que Tom Tykwer et ses jurés aient laissé sur la touche les deux films-fleuves de cette 68e Berlinale, à savoir Season of the Devil et My brother’s name is Robert and he is an idiot, deux productions profondément ennuyeuse pour la première et prétentieuse pour la seconde.
Quoi qu’il en soit, cette cuvée 2018 de la Berlinale aura réservé quelques belles surprises (y compris dans les sections parallèles, dont nous aurons certainement l’occasion de reparler prochainement). Contrairement aux commentaires chagrins entendus ci et là sur une programmation décevante, le festival dirigé par Dieter Kosslick a prouvé qu’il avait encore de belles années devant lui.
Olivier Clinckart