69e Berlinale: les verdicts

La 69e édition de la Berinale a vécu! Le jury présidé par Juliette Binoche a rendu ses verdicts tant attendus. Voici le palmarès et nos commentaires:

Prix Alfred-Bauer (qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière) :  System Crasher, de Nora Fingscheidt (notre pronostic était: Öndög de Wang Quan’an)

Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique : Rasmus Videbaek, pour la cinématographie de Out Stealing Horses (notre pronostic était: The Golden Glove, de Fatih Akin)

Ours d’argent du Meilleur scénario : Maurizio Braucci, Claudio Giovannese et Roberto Saviano pour Piranhas  (notre pronostic était: A Tale of Three Sisters)

Ours d’argent de la Meilleure actrice : Yong Mei pour So Long, My Son (notre pronostic était: Helena Zengel dans System Crasher ou Zorica Nusheva dans God exists, Her Name is Petrunija)

Ours d’argent du Meilleur acteur : Wang Jingchun pour So Long, My Son (notre pronostic était: Jonas Dassler dans The Golden Glove)

Ours d’argent de la Meilleure réalisation: Angela Schanelec pour I was at home, but  (notre pronostic était: Agnieszka Holland, pour Mr. Jones)

Ours d’argent – Grand Prix du jury: Grâce à Dieu, de François Ozon (notre pronostic était: Grâce à Dieu, de François Ozon.)

Ours d’Or du Meilleur film : Synonymes, de Navad Lapid (notre pronostic était: So Long, My Son de Wang Xiaoshuai)

C’est donc, comme nous le redoutions, le triomphe d’un certain parisianisme prétentieux: en décernant l’Ours d’Or à Synonymes, le jury de Juliette Binoche a  récompensé une oeuvre qui brasse du vide pendant 2h. Du cinéma confidentiel comme on le déteste, du pseudo cinéma d’auteur qui est surtout du cinéma « de hauteur »: ne s’adressant qu’à un petit groupe d’initiés qui se pâmeront devant l’abondance de métaphores censées nous transmettre un message. Certains ont même cru voir du Godard façon Nouvelle Vague dans la mise en scène. Sauf que le mouvement novateur -incontestable- initié par Godard et quelques autres, c’était il y a près de 60 ans. Qu’apporte donc Navad Lapid de novateur au cinéma?

La même question se pose au sujet de I was at home, but, honoré de l’Ours d’Argent de la Meilleure réalisation. Sifflé lors de sa projection à la presse, le film d’Angela Schanelec ne génère qu’un ennui profond et se veut tout aussi prétentieux dans son développement que Synonymes. Ceux qui privilégient le cinéma qui raconte une histoire resteront inévitablement sur leur faim: Schanelec se parle surtout à elle-même, se regarde filmer dans un miroir et trouve apparemment le spectacle passionnant. Elle est bien la seule (hormis le jury de la Berlinale, évidemment).

Une bonne partie des autres récompenses nous interpelle également: si System Crasher, par exemple, méritait assurément d’être primé pour l’interprétation de la jeune Helena Zengel, nous percevons mal en quoi le film « ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière », selon la définition du prestigieux Prix Alfred-Bauer. Que Öndög ait été exclu du palmarès nous apparaît dès lors comme une aberration.

Enfin, notre grand favori, So Long, My Son, est loin de repartir bredouille, puisqu’il cumule les prix de la Meilleure interprétation masculine et féminine. Et l’interprétation de Wang Jingchun et Yong Mei est effectivement remarquable. Mais le film l’est également dans son entièreté et méritait largement une récompense globale, à savoir l’Ours d’Or. La sélection de la Compétition officielle de cette 69e Berlinale s’est avérée de moyenne facture; son jury, lui, s’est carrément montré médiocre.

Olivier Clinckart

69e Berlinale: pronostics d’avant verdicts

C’est ce samedi 16 février que le jury présidé par Juliette Binoche décernera ses prix aux films en Compétition officielle. En attendant, voici notre palmarès personnel idéal:

Prix Alfred-Bauer (qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière) : Öndög de Wang Quan’an

Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique : The Golden Glove, de Fatih Akin

Ours d’argent du Meilleur scénario : A Tale of Three Sisters

Ours d’argent de la Meilleure actrice : Helena Zengel dans System Crasher ou Zorica Nusheva dans God exists, Her Name is Petrunija

Ours d’argent du Meilleur acteur : Jonas Dassler dans The Golden Glove

Ours d’argent de la Meilleure réalisation: Agnieszka Holland, pour Mr. Jones

Ours d’argent – Grand Prix du jury: Grâce à Dieu, de François Ozon.

Ours d’Or du Meilleur film : So Long, My Son de Wang Xiaoshuai

Pour rappel, voici notre cotation des 16 films en Compétition:

So Long, My Son ♥♥♥ 1/2
Grâce à Dieu ♥♥♥
The Golden Glove ♥♥♥
Mr. Jones ♥♥ 1/2
Piranhas ♥♥ 1/2
A Tale of Three Sisters ♥♥
God exists, Her Name is Petrunija ♥♥
Öndög ♥♥ 
System Crasher ♥♥ 
Elisa & Marcela ♥ 1/2
Out Stealing Horses ♥ 1/2
The Kindness of Strangers ♥ 1/2
Répertoire des villes disparues The Ground beneath My Feet  
I was at home, but 0
Synonymes 0

69e Berlinale: le meilleur pour la fin

Les organisateurs de la Berlinale aiment visiblement ménager le suspense: alors que la sélection de cette année est nettement en demi-teinte, c’est lors du dernier jour des projections à la presse qu’ils nous ont réservé le meilleur film de cette 69e édition!

So Long, My Son (♥♥♥ 1/2), de Wang Xiaoshuai, est en effet une pleine réussite, une oeuvre ambitieuse de 180 minutes dont la durée, rébarbative de prime abord, se justifie pleinement pour développer un récit qui s’étale sur plusieurs décennies. Si ce mélodrame familial est centré autour de la perte d’un enfant et des conséquences que ce deuil va entraîner pour les deux familles concernées, le récit se veut aussi une analyse de la Chine tout au long de cette période, que ce soit par le biais de la politique de l’enfant unique ou des profondes mutations que le pays a traversé.

Wang Xiaoshuai met en place une brillante construction narrative, alternant les séquences dans le présent et les flashbacks, sans toutefois utiliser le moindre effet pour passer de l’une à l’autre. De même, il recourt régulièrement à l’ellipse, d’où l’intérêt de rester pleinement attentif à l’intrigue. Cela n’empêchera pas de se sentir par moments largués, comme si une pièce du puzzle nous manquait. Et c’est effectivement le cas; le scénario ayant habilement prévu de ne nous livrer toutes les clés du récit que lorsque celui-ci touche à son terme.

 

Avec sa tonalité douce-amère et la mélancolie qu’il contient (car si les traces physiques du passé ont disparu de la Chine moderne, les cicatrices laissées par les souvenirs, demeurent, elles, intactes), So Long, My Son brille également par son interprétation irréprochable qui apporte encore davantage de supplément d’âme à l’ensemble. Il serait dès lors regrettable que le jury passe à côté de cette oeuvre cinématographique complète qui mérite sans hésitation l’Ours d’Or ou une des principales récompenses de cette 69e édition de la Berlinale.


A noter que So Long, My Son n’aurait pas du être le dernier film projeté dans la Compétition: une autre production chinoise, One Second, de Zhang Yimou, figurait au programme de la 69e Berlinale. Des « problèmes de postproduction », selon le communiqué officiel (mais la rumeur évoque avec insistance la censure chinoise), ont obligé les organisateurs à retirer le film en dernière minute.

One Second, le film dont on ne verra même pas une seconde

Olivier Clinckart

69e Berlinale: les derniers films en Compétition

Les dernières projections de la Compétition officielle de la 69e Berlinale ont eu lieu. Voici un rapide aperçu de 4 des 5 derniers titres.

Piranhas (titre original: La Paranza dei Bambini) (♥♥ 1/2), de Claudio Giovannesi. Inspiré du roman de Roberto Saviano, le film nous plonge dans la vie de gangs d’adolescents qui oeuvrent dans les quartiers défavorisés de Naples. Là, ils profitent de l’absence de chefs mafieux emprisonnés pour prendre peu à peu leur place sur le terrain du crime organisé et adopter les mêmes pratiques criminelles que leurs prédécesseurs.

Avec ses jeunes acteurs très convaincants et recrutés dans les quartiers populaires de Naples, Piranhas aborde efficacement une réalité aussi tragique qu’interpellante et pointe du doigt la misère sociale qui permet à la mafia de continuer à prospérer et de séduire des personnes fragilisées à la recherche d’argent facile.

A Tale of Three Sisters (♥♥ ), film turc de Emin Alper, raconte l’histoire de 3 soeurs, Reyhan (20 ans), Nurhan (16 ans) et Havva (13 ans). qui vivent avec leur père dans un village reculé d’Anatolie. Toutes 3 ont déjà eu l’occasion de travailler en ville et n’ont qu’une seule envie: y retourner au plus vite pour échapper à la vie de la campagne profonde qui leur semble être un fardeau des plus lourds à porter.

Le scénariste a eu visiblement beaucoup de travail avec A Tale of Three Sisters, car les dialogues abondent entre les différents protagonistes. Le film doit-il être qualifié de trop bavard pour autant? Non, car malgré quelques longueurs et redondances, il nous livre un portrait d’une certaine partie de la Turquie, loin des grandes villes ou des zones touristiques prisées. Une certaine audace s’installe même dans les conversations (on y parle de sexe, de plaisir, d’émancipation féminine, de mariage arrangé malheureux…), lesquelles se tiennent au coin du feu ou dans les superbes décors des montagnes d’Anatolie. Mais le drame n’est pas loin et lorsqu’il survient, le récit prend toute sa dimension.

Elisa & Marcela (♥ 1/2), de Isabel Coixet, permet à la réalisatrice espagnole de revenir à Berlin, un an tout juste après y avoir présenté The Bookshop dans la catégorie Berlinale Special. Elle a cette fois les honneurs de la Compétition officielle avec ce drame inspiré de faits réels (tout comme d’ailleurs de nombreux autres films de la Compétition cette année). Relatant l’histoire d’amour interdite de deux jeunes femmes dans l’Espagne du début du 20e siècle, Elisa & Marcela s’inscrit évidemment dans l’air du temps et ne manque pas de rappeler juste avant le générique que l’union entre personnes du même sexe reste aujourd’hui encore proscrite, voire même passible de la peine de mort, dans un certain nombre de pays. Dommage que la réalisatrice n’évite pas certaines scènes répétitives à l’eau de rose qui ôtent une partie de sa crédibilité à la mise en scène. Mais le principal mérite du film est de mettre en lumière le combat douloureux mené par ces deux femmes pour pouvoir vivre leur passion dans une société où la chose était inconcevable.

Synonymes (0), de Nadav Lapid, est surtout synonyme d’ennui et de prétention portés à leur paroxysme. Le récit raconte l’histoire d’un beau jeune homme israélien ayant fui son pays et espérant pouvoir s’installer définitivement en France. Sujet de prime abord intéressant que celui-là (et familier au réalisateur), centré autour de ces étrangers en quête d’une autre terre et d’une nouvelle vie.

Hélas, comme nous l’écrivions déjà au sujet de I was at home, but les adeptes de la masturbation intellectuelle seront probablement les seuls à s’extasier devant cet objet cinématographique qui transpire la prétention d’un bout à l’autre.  Usant et abusant d’une théâtralisation excessive, le film développe une galerie de personnages caricaturaux, à commencer par le principal, Yoav (incarné par Tom Mercier) qui garde une mine figée de la première à la dernière minute, dans une succession de séquences qui frisent tantôt l’hystérie, tantôt le nombrilisme parisien le plus pénible.

Le physique avantageux de Tom Mercier, qui n’hésite pas à s’investir physiquement à plus d’une reprise, constitue probablement le seul attrait pour le regard de ce Synonymes qui, nous l’espérons, ne sera pas synonyme de récompense majeure au palmarès de cette 69e Berlinale.

Olivier Clinckart

Berlinale avec « B » comme « Belgique »

Une fois de plus, les coproductions belges sont bien représentées à la Berlinale dans les différentes sections du festival.

Parmi celles-ci, God exists, Her Name is Petrunija (♥♥) a fait très bonne impression en Compétition officielle lors de ses projections à la presse. Cette coproduction de 5 pays parmi lesquels la Belgique et la Macédoine (nouvellement appelée « du Nord ») est coproduite en Belgique par Entre Chien et Loup avec le soutien du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel.

Le film évoque une tradition bien ancrée en Macédoine, où chaque 19 janvier, pendant l’Epiphanie, le prêtre jette une croix dans l’eau d’un fleuve où des centaines d’hommes se jettent à leur tour pour tenter de la récupérer. Celui qui y parvient en premier est censé être béni et protégé pour une année entière. Mais cette tradition réservée à la population mâle se voit bouleversée le jour où Petrunija, une historienne de 31 ans célibataire et qui essuie échec sur échec à chaque entretien d’embauche décide de sauter à l’eau également pour tenter sa chance et est la première à toucher la précieuse croix.

La réalisatrice Teona Strugar Mitevska s’attaque donc au poids écrasant des traditions qui régissent encore bien des sociétés et en démontre tout le paradoxe. Pour autant, le film ne cherche pas à se transformer en manifeste revendicatif et c’est là toute son intelligence. Au contraire, le scénario propose une analyse en douceur de certains aspects de la société macédonienne et de l’influence que certains rites ancestraux peuvent encore avoir aujourd’hui sur cette région de l’Europe. Ce faisant et en ayant recours à un titre des plus éloquents qui fait de Dieu un élément de sexe féminin, la cinéaste place subtilement l’héroïne au centre d’un enjeu qui concerne toutes les femmes et transforme Petrunija, jeune trentenaire rondouillarde mal dans sa peau, en une personne plus forte et qui comprend qu’elle a, elle aussi, droit au respect.

La néophyte Zorica Nusheva impressionne dans la peau de Petrunija et met tout son poids -au propre comme au figuré- pour incarner brillamment son personnage. Si le film ressemble par de nombreux aspects à d’autres productions des Balkans qui évoquent des thèmes similaires, l’interprétation remarquée de Zorica Nusheva et les touches d’humour salutaires du scénario pourraient bien faire figurer God exists… au palmarès de cette 69e Berlinale.

Hellhole (♥♥), de Bas Devos, figurait au programme de la section Panorama. où il reçu un bon accueil lors de ses différentes projections (qui affichaient toutes complet). Le titre fait référence aux propos pour le moins méprisants tenus par le président américain Donald Trump, qui avait traité Bruxelles de « trou à rats ».

Mais malgré son titre, purement ironique, Hellhole s’applique à démontrer que Bruxelles est une ville comme les autres qui a eu, elle aussi, à subir le traumatisme d’attentats sanglants en mars 2016. C’est l’après-attentats que Bas Devos aborde ici, par le biais de plusieurs citoyens qui tentent peu à peu de relever la tête après avoir été confrontés à l’horreur de cette journée du 22 mars. Des citoyens qui ont tous eu à subir le même choc, sans distinction de race, de couleur de peau ou de religion.

En filmant ce quotidien de gens ordinaires, le réalisateur opte pour une mise en scène intéressante, alternant les longs plans fixes et les travellings qui parcourent les rues ou les bâtiments. Aucun sensationnalisme donc, et un rythme volontairement lent qui prend le temps d’installer chaque séquence. Un choix formel qui fait de Hellhole un exercice de style assez réussi dans son genre.

Olivier Clinckart

 

69e Berlinale: une sélection avec des hauts et des bas

Si les grands festivals permettent de découvrir d’excellents films, toute sélection digne de ce nom comporte également certaines oeuvres dont on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence de leur présence en Compétition.

Ainsi, Out Stealing Horses (♥1/2 ), film norvégien de Hans Petter Moland, raconte l’histoire d’un vieil homme qui, après la mort de sa femme, s’est retiré dans un petit village de Norvège, loin d’Oslo. Lorsqu’il croise une vieille connaissance qu’il n’a plus revue depuis son adolescence, le passé revient aussitôt à la surface. Alternant les flashbacks et les retour au présent, ou en proposant même parfois un flashback dans le flashback, le scénario semble avoir plaisir à jouer avec le temps, mais aussi un peu avec le nôtre. Car si les souvenirs d’adolescence du personnage principal ne manquent pas d’intérêt sur le papier, la manière dont l’intrigue est développée tourne rapidement en rond pour déboucher sur un récit assez vain dont on peine à saisir les tenants et les aboutissants. Reste les beaux paysages de la région frontalière entre la Suède et la Norvège et l’interprétation convaincante du toujours talentueux Stellan Skarsgard. Dommage que l’histoire, prometteuse de prime abord, ne fasse pas preuve de d’avantage d’audace narrative.

The Ground beneath My Feet (), film autrichien de Marie Kreutzer, suit le parcours de Lola, presque trentenaire et brillante consultante en management constamment en déplacement pour l’entreprise dans laquelle elle travaille. Son bel appartement viennois lui sert davantage de boîte aux lettres que de lieu de résidence et elle entretient une liaison passionnée avec sa propre CEO. Bref, tout pour réussir, si ce n’est le petit détail dont elle n’est pas fière et qu’elle cache soigneusement: sa soeur, Conny, qui souffre de troubles mentaux depuis de nombreuses années et qui nécessite une surveillance régulière. En somme, l’ordre d’un côté et le chaos de l’autre. Deux opposés qui vont inévitablement rentrer en collision et auquel Marie Kreutzer donne à mi-course un petit parfum de fantastique: Lola se met à entendre des voix et se demande peu à peu si elle n’est pas aussi atteinte que sa soeur. D’où les ennuis qui vont commencer à son boulot, où la dure réalité d’une entreprise qui ne jure que par la performance ne tolère pas la moindre faiblesse. En mélangeant les thématiques avec une froideur clinique qui ne laisse ressentir aucune empathie pour ses personnages, Marie Kreutzer passe en partie à côté de son sujet et nous laisse de marbre.

Valerie Pachner (The Ground beneath My Feet)

Répertoire des villes disparues () , du Canadien Denis Côté, donne lui aussi à son film un petit air de X-Files. Il ne manque d’ailleurs que la musique de la célèbre série télé pour se croire revenu au temps des aventures de Scully et Mulder, transposées pour l’occasion dans les campagnes paumées du Québec. A Irénée-les-Neiges comme dans tant d’autres villages, la population se raréfie de plus en plus. A tel point que la mort en voiture (par accident ou par suicide?) du jeune Simon Dubé est vécue comme un traumatisme par les habitants qui perdent non seulement une bonne connaissance mais aussi une force vive et pleine d’avenir du village. Mais comme si cela ne suffisait pas, voilà que des phénomènes mystérieux vont commencer à se manifester peu de temps après le décès du jeune homme. Pas de quoi trembler bien longtemps cependant: Denis Côté nous sert de la métaphore à la grosse louche en symbolisant les villages de son Québec natal qui se désertifient par l’apparition de revenants. Des esprits pas bien méchants d’ailleurs, puisqu’ils se contentent de se promener sur leur anciennes terres et d’observer, silencieux, les vivants pas rassurés. Cela pourrait être drôle si Denis Côté ne se prenait pas autant au sérieux, mais au lieu de faire sourire, l’intrigue frôle plutôt le ridicule. Le premier tiers du film, avec ses décors enneigés et son atmosphère froide réussie, laissait pourtant espérer un développement plus subtil de la thématique abordée. Il faut hélas déchanter dès l’apparition de ces fantômes qui rendent le récit presque transparent.

Robert Naylor (Répertoire des villes disparues)

Enfin, I was at home, but (0), de la réalisatrice allemande Angela Schanelec, est à l’image de son titre incomplet: il laisse le spectateur furieusement sur sa faim! Dans une succession interminable de longs plans fixes dont on peine à comprendre quel lien les relie, le film raconte l’histoire d’une mère qui retrouve son fils de 13 ans, après que celui-ci ait disparu pendant une semaine. Tant sa mère que les professeurs de l’adolescent pensent que cette fugue a un lien avec la mort de son père. Cette affaire de famille n’a en fait pas le moindre intérêt pour le spectateur, tant il semble évident que la réalisatrice a surtout aimé se regarder filmer, tout en prétendant insérer dans son récit quelques questions existentielles. C’est du cinéma prétentieux tel qu’on le déteste, une pseudo démarche artistique réservée aux happy few qui y trouveront leur compte. En ce qui nous concerne, voir un tel film se retrouver en Compétition officielle est difficilement compréhensible. I was at home, but, signifie littéralement « J’étais à la maison, mais »: il n’y a pas de « mais » qui tienne, Angela Schanelec aurait en effet mieux fait de rester chez elle plutôt que de tourner ce qui sera probablement le plus mauvais film en compétition de la 69e Berlinale.

Olivier Clinckart

Une leçon d’Histoire à la 69e Berlinale

 

Deux ans après y avoir remporté le Prix Alfred Bauer à Berlin pour Spoor, Agnieszka Holland revenait à la Berlinale pour y présenter Mr. Jones (♥♥ 1/2), lui aussi en Compétition officielle. L’occasion de proposer une intéressante leçon d’Histoire, en ce sens que le film nous éclaire sur le destin assez méconnu de Gareth Jones, jeune journaliste gallois qui, au début des années 30, se retrouva clandestinement en plein coeur de l’Ukraine soviétique, alors décimée par une famine abominable (désignée là-bas sous le terme de « Holodomor », l’extermination par la faim) encouragée par le régime stalinien et qui allait causer la mort de centaines de milliers -si pas de millions- d’individus. Las, tout comme personne dans les hautes sphères ne voulut croire Jones quand il pressentait le danger que représentait l’Allemagne nazie, peu nombreux furent ceux qui voulurent donner écho aux faits terribles que le reporter put décrire à son retour de l’enfer ukrainien.

Cette évocation historique est retracée avec sobriété par la réalisatrice polonaise, dans une mise en scène des plus classiques mais globalement efficace, malgré quelques longueurs dans la première partie du récit. Lequel ne prend véritablement tout son sens qu’au moment où Jones débarque en Ukraine et y est témoin des évènements terrifiants qui s’y déroulent.

Parallèlement, le scénario montre également à quel point l’idéologie stalinienne, tout comme l’idéologie nazie, était capable de subjuguer les individus au point de leur faire perdre tout sens critique. Car, au contraire de Gareth Jones, d’autres journalistes occidentaux se firent les fidèles avocats du communisme à la sauce stalinienne, à l’instar de Walter Duranty, qui remporta le prestigieux Prix Pulitzer en 1932 pour ses reportages très condescendants à l’égard de l’U.R.S.S. Un Prix Pulitzer qui ne lui fut d’ailleurs jamais retiré, même lorsque les mensonges contenus dans son travail devinrent évidents.

Agnieszka Holland

Inévitablement, le dernier film en date de Agnieszka Holland se veut une référence au passé mais aussi au présent, alors qu’un peu partout des mouvements très radicaux, voire  extrêmes, prennent de l’ampleur en Europe. Dans cette optique et malgré son classiscisme, Mr. Jones constitue un rappel pertinent du danger -jamais entièrement écarté- que représentent les idéologies totalitaires.

Olivier Clinckart

L’éventreur de St Pauli à la Berlinale

 

Premier choc de cette 69e Berlinale, le dernier film en date de Fatih Akin, The Golden Glove (♥♥♥), n’aura laissé personne indifférent et a profondément divisé la Critique.

Le film retrace le parcours aussi sinistre qu’authentique de Fritz Honka, tueur en série au faciès difforme ayant sévi à Hambourg au début des années 70. Ses victimes étaient généralement des prostituées qu’il rencontrait au Golden Glove, un bar miteux de son quartier. S’il se débarrassait d’une partie des corps démembrés, il en conservait d’autres parties dans son appartement.

 

Avec un sens aigu du détail, Akin se livre à une reconstitution saisissante des décors et de l’atmosphère de l’époque. Mais surtout, il développe une galerie de personnages d’un sordide absolu, à commencer par le principal protagoniste lui-même, totalement en marge de la société et au physique repoussant. Aux limites du film de genre, The Golden Glove assume totalement son propos et nous gratifie de scènes d’une violence crue qui a provoqué la nausée chez plus d’un spectateur. Mais le réalisateur se défend d’avoir joué la carte du sensationnalisme et précisait à juste titre en conférence de presse qu’il n’a fait que représenter la triste réalité, forcément ultra-violente, des faits.

Nous évoquions plus haut la galerie de personnages sinistres qui évoluent dans The Golden Glove. C’est là un des autres points forts du récit: aussi terrifiants soient-ils, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine forme d’empathie pour ces êtres brisés par la vie et la société et dont on perçoit que le parcours aurait pu être tout autre si le destin leur avait été plus favorable. De fait, si les crimes commis par Fritz Honka sont aussi impardonnables qu’injustifiables, il est difficile de ne pas se sentir interpellé par l’écrasante solitude à laquelle cet individu a été condamné de par sa difformité. La même solitude dans laquelle étaient plongées ses victimes et qui en faisaient donc des proies d’autant plus vulnérables.

Au-delà de la mise en scène impressionnante, il faut aussi saluer l’interprétation époustouflante de l’acteur principal Jonas Dassler et le travail minutieux de maquillage requis quotidiennement pour transformer ce beau jeune homme de 23 ans en un Fritz Honka crédible. The Golden Glove suscite la polémique à la Berlinale, mais il mériterait pourtant de figurer au palmarès, que ce soit pour une récompense technique ou pour le jeu impeccable de Jonas Dassler. Reste à voir si le jury sera sensible à ce genre d’oeuvre très décalée qui ne cadre pas avec la programmation dite plus « classique » qu’on retrouve généralement en compétition officielle, mais qui, justement, apporte un souffle d’originalité toujours bienvenu, fut-il sujet à controverse.

Olivier Clinckart

La Berlinale aux abonnés pas absents

Que ce soit à Berlin, Cannes ou Venise, les anciens lauréats de ces grands festivals forment un club très select qui les assure quasiment d’une sélection à chacun de leurs nouveaux longs-métrages. La 69e Berlinale ne fait pas exception à cette règle non-écrite et pourtant bien établie.

 

Ainsi en est-il du réalisateur chinois Wang Quan’an, lequel est loin d’être un inconnu au Festival de Berlin, puisqu’il y remporta l’Ours d’Or en 2007 avec Tuya’s Marriage, l’Ours d’Argent du Meilleur scénario en 2010 pour Apart Together et qu’il fut également membre du jury international en 2017.

Il revient en Compétition officielle avec Öndög (♥♥), un film ultra-contemplatif qui se déroule dans les lointaines steppes de Mongolie. La découverte du cadavre d’une jeune femme va amener à une réflexion sur le cycle de la vie entre les différents personnages, parmi lesquels un jeune policier et une bergère qui a tout de la forte femme. Le titre Öndög n’a d’ailleurs rien d’innocent par rapport à cette réflexion, puisqu’il signifie « oeuf » en mongol. Ici, il réfère tout autant aux oeufs fossilisés de dinosaures (découverts en nombre en Mongolie) qu’au foetus dans le ventre de la mère. Les deux significations se rejoignent entre deux plans parfois très silencieux, mais qui permettent d’apprécier la superbe photographie du film. Les grands paysages mongols se prêtent, il est vrai, à merveille à l’exercice. Si l’on peut difficilement qualifier Öndög d’oeuvre grand public, il faut toutefois lui reconnaître une démarche cinématographique de qualité qui pourrait parfaitement séduire un jury à l’heure des récompenses.

Nora Fingscheidt n’est pas une inconnue non plus au festival, puisque la réalisatrice allemande a participé aux Berlinale Talents en 2012, une initiative qui, comme son nom le laisse supposer, permet à de jeunes talents de divers pays de bénéficier d’une belle mise en valeur pendant la durée de l’évènement. Avec System Crasher (♥♥), sélectionné en Compétition officielle, elle raconte l’histoire de Benni, une jeune fille de 9 ans complètement en marge de la société à cause d’un contexte familial calamiteux. Incontrôlable, Benni passe d’une maison d’accueil à une autre et ne parvient pas davantage à trouver la moindre stabilité dans le milieu scolaire.

Si le film fait inévitablement penser au superbe Mommy de Xavier Dolan de par sa thématique ainsi que pour certains effets de style employés par Nora Fingscheidt, il faut saluer la réflexion amenée par ce drame social plein de sensibilité. Mais la force de System Crasher tient aussi et surtout dans la prestation époustouflante de sa jeune actrice principale, Helena Zengel, qui, du haut de ses 9 printemps, est étonnante de conviction dans la peau de Benni.

Enfin, le réalisateur français François Ozon était très attendu pour son dernier film, Grâce à Dieu (♥♥♥), qui évoque le silence coupable  de l’Eglise catholique face aux déviances pédophiles de certains prêtres. Plus précisément, le scénario évoque l’affaire Barbarin, du nom de l’archevêque de Lyon, actuellement poursuivi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles commises par le Père Preynat pendant plusieurs décennies.

Ozon -dont le 8 femmes avait remporté l’Ours d’argent de la meilleure interprétation féminine en 2002- a une nouvelle fois osé faire preuve d’audace avec cette fiction documentée. Et grâce à Dieu, si l’on ose dire, le cinéaste se montre une nouvelle fois très convaincant dans une réalisation très classique, certes, mais remarquablement bien construite.

S’attachant tour à tour au parcours et à la quête de justice de trois des victimes (incarnées par Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud) du Père Preynat, Grâce à Dieu ne cherche pas à crier vengeance, ni à dresser un portrait exclusivement à charge de l’Eglise et de ses serviteurs, mais bien à cerner les errements d’une institution ayant pratiqué la loi du silence pendant trop longtemps.

Etonnamment, s’attaquer frontalement à un tel sujet au cinéma reste une démarche périlleuse: les producteurs du film expliquaient en conférence de presse combien il leur avait été difficile de trouver les financements nécessaires pour mener à bien le projet Grâce à Dieu. Lequel doit d’ailleurs faire face en France à 2 procédures visant, entre autres, à en reporter sa sortie! C’est dire si le film d’Ozon remue là où ça fait mal, grâce à son évocation sobre et pourtant forte, du drame vécu par des jeunes enfants qui, une fois devenus adultes, ont encore eu besoin de nombreuses années et d’un courage à toute épreuve pour enfin parvenir à affronter de face le traumatismer qu’ils ont subi.

Olivier Clinckart

Berlinale, clap 69e!

C’est de tradition chaque année en février: la Berlinale ouvre le bal des 3 grands festivals européens pour faire découvrir aux journalistes et au public une programmation variée et ouverte sur le monde dans les différentes sections du festival.

Ce jeudi 7 février, c’est le dernier film de Lone Scherfig, The Kindness of Strangers, qui a eu l’honneur d’ouvrir le bal. La réalisatrice danoise (Italian for Beginners, The Riot Club, Their Finest) se retrouve également au programme de la Compétiton officielle avec ce film qui s’inscrit bien dans la lignée de sa filmographie composée de personnages attachants.

The Kindness of Strangers (♥ 1/2) évoque les destins croisés de plusieurs personnages qui se retrouvent en plein New York tout en devant composer avec leurs fêlures respectives: une jeune mère de famille fuyant un mari violent, une infirmière conseillère dans un groupe de thérapie qui s’interroge sur sa place au sein de son univers professionnel ou encore un jeune homme plutôt paumé et incapable de garder le moindre boulot… Ils pourraient tous ne constituer que des énièmes laissés-pour-compte dans une mégapole américaine où l’indifférence semble être la règle, mais Lone Scherfig prend à contre-pied ce qui pourrait paraître une évidence pour nous proposer un récit empreint d’humanité et d’espoir en son prochain, ainsi que de fréquentes touches d’humour bienvenues.

Zoe Kazan & Tahar Rahim

Certes, ce long-métrage empreint de très (trop?) bons sentiments ne sera pas le plus original de la 69e Berlinale et aurait très certainement été davantage à sa place hors compétition. Certains lui reprocheront également une certaine naïveté de ton, mais il faut lui reconnaître une belle générosité dans son propos, ainsi que la qualité de son casting cosmopolite (Tahar Rahim, Zoe Kazan, Bill Nighy…).

Tahar Rahim & Bill Nighy

Olivier Clinckart