70e Berlinale: un dernier regard sur le palmarès

La 70e Berlinale s’est achevée ce dimanche 1er mars, les récompenses ayant été, elles, attribuées la veille au soir.

Que retenir du palmarès émis par le jury, dont le président était le comédien Jeremy Irons? Tout d’abord, on ne peut que se réjouir du bel équilibre trouvé par les jurés, qui ont su récompenser des films d’auteurs parfois assez pointus, sans mépriser pour autant des films dits « grand public » qui n’en présentaient pas moins de réelles qualités cinématographiques.

Ainsi (et après le Prix du meilleur documentaire remis fort justement à Irradiés de Rithy Panh), quel plaisir de voir Effacer l’historique décrocher le Prix spécial de la 70e Berlinale! Qu’une comédie -mais qui dit beaucoup de choses très sérieuses avec énormément d’humour- se voit récompensée dans un festival majeur n’est pas chose courante.

Benoît Delépine et Gustave Kervern,
Prix Spécial 70e Berlinale
© Olivier Clinckart

Le choix du meilleur comédien ne souffre d’aucune discussion non plus, tant Elio Germano livre une prestation époustouflante dans Hidden Away.

Elio Germano,
Ours d'argent du meilleur acteur
© Olivier Clinckart

Si Undine ne nous a pas pleinement convaincus, l’Ours d’argent de la meilleure actrice décerné à Paula Beer n’a rien d’illégitime, tant la jeune femme prouve une nouvelle fois son grand talent dans le film de Christian Petzold.

Paula Beer,
Ours d'argent de la meilleure actrice
© Olivier Clinckart

Tout aussi compréhensibles sont les Ours d’argent de la meilleure contribution artistique, décerné à Jürgen Jürges pour son impressionnant travail de chef-opérateur dans le controversé mais intrigant DAU. Natasha, ainsi que l’Ours d’argent du meilleur réalisateur remis à Hong Sang-soo pour The Woman Who Ran. Si ce dernier film nous a paru assez répétitif par rapport aux oeuvres récentes du réalisateur sud-coréen, on ne peut nier que celui-ci fait toujours preuve d’une profonde maîtrise de son art.

Jürgen Jurges (en haut), 
Ours d'argent de la meilleure contribution artistique
Hong Sang-soo (en bas),
Ours d'argent du meilleur réalisateur
© Olivier Clinckart

Plus étonnants sans doute sont les Ours d’argent du meilleur scénario remis aux frères D’Innocenzo pour Bad Tales, film certes intéressant et qui nous a globalement plu, mais dont le récit ne va justement pas totalement au bout de son propos, et l’Ours d’argent – Grand prix du Jury (le 2e  prix en importance) attribué à Never Rarely Sometimes Always, de Eliza Hittman. Ce film, qui a davantage des allures de téléfilm, nous avait paru très plat dans sa mise en scène et  nous semblait particulièrement manichéen dans sa vision des choses. Une impression que la réalisatrice Eliza Hittman n’a fait que renforcer dans ses propos lors de la conférence de presse d’après remise des prix.

Fabio & Damiano D'Innocenzo (en haut),
Ours d'argent du meilleur scénario
Eliza Hittman (en bas),
Ours d'argent - Grand Prix du Jury
© Olivier Clinckart

Déception également quant à l’absence au palmarès de Berlin Alexanderplatz, qui ne méritait pas de repartir bredouille. Nous lui donnions même l’Ours d’or dans notre palmarès idéal, mais il n’a visiblement pas convaincu le jury. Un jury qui, il est vrai, est toujours constitué d’une somme d’individus aux sensibilités artistiques très variées et où, inévitablement, des compromis doivent se faire.

Pour autant, on ne reprochera cerainement pas à ces mêmes jurés d’avoir décerné l’Ours d’or à l’excellent film iranien There is No Evil, de Mohammad Rasoulof, interdit de quitter le territoire iranien, comme nous l’expliquions précédemment. A ce propos, il est intéressant de constater à quel point un jury n’est pas l’autre: l’an dernier, il semblait évident que l’Ours d’or revienne au formidable So Long, My Son de Wang Xiaoshuai. En lieu et place, les deux (magnifiques, certes) interprètes principaux reçurent les Ours d’argent du meilleur acteur et de la meilleure actrice. Un choix visant très probablement à ne pas couronner un film dans son ensemble provenant d’un pays (la Chine) pointée du doigt pour son manque de respect des droits de l’Homme. Dans cette optique, nous imaginions qu’il en irait peut-être de même cette année, mais ce fut tout le contraire.



Baran Rasoulof (fille de Mohammad Rasoulof) et un des producteurs du film (en haut), Baran Rasoulof et Mohammad Rasoulof intervenant en direct et par smartphone depuis l'Iran (en bas),
Ours d'or du meilleur film pour There is No Evil
© Olivier Clinckart

Quoi qu’il en soit de ces considérations géopolitiques, c’est un bien bel Ours d’or que celui-là qui vient clôturer une 70e Berlinale à la programmation en demi-teinte mais dont émerge au final un palmarès des plus honorables. A l’année prochaine pour la 71e édition, du 11 au 21 février 2021!

Olivier Clinckart

70e Berlinale: l’heure des pronostics

On connaîtra ce samedi 29 février le résultat des délibérations menées par Jeremy Irons et les membres de son jury officiel. Le moment est donc venu de livrer notre palmarès idéal:

Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique: Siberia

Ours d’argent du Meilleur scénario: Gustave Kervern et Benoît Delépine pour Effacer l’historique

Prix spécial – 70e Berlinale: Le sel des larmes

Ours d’argent de la Meilleure actrice: Natalia Berezhnaya pour DAU. Natasha

Ours d’argent du Meilleur acteur: Elio Germano pour Hidden Away

Ours d’argent de la Meilleure réalisation: Mohammad Rasoulof pour There is No Evil

Ours d’argent – Grand Prix du jury: Irradiés

Ours d’or du Meilleur film: Berlin Alexanderplatz

Pour rappel, voici notre cotation des 18 films en compétition:

Berlin Alexanderplatz ♥♥♥
Effacer l'historique ♥♥♥
There is No Evil ♥♥♥
Irradiés ♥♥♥
Hidden Away ♥♥1/2
Bad Tales ♥♥
Dau. Natasha ♥♥
Le sel des larmes ♥♥
My Little Sister ♥♥
The Woman Who Ran ♥1/2
Undine ♥1/2
First Cow 
The Intruder 
Never Rarely Sometimes Always 
The Roads Not Taken 
All the Dead Ones  
Siberia 
Days 

70e Berlinale: 3 films d’Asie pour conclure

Hasards de la programmation, ce sont 3 films en provenance d’Asie -ou réalisés par des cinéastes originaires du continent asiatique- qui ont fermé la marche des 18 longs-métrages en Compétition officielle.

Autant commencer par le moins passionnant des 3, et de loin. Days (titre original: Rizi) ( ) film taïwanais réalisé par Tsai Ming-Liang, un cinéaste qui peut se targuer d’un joli palmarès, puisqu’il décrocha entre autres le Lion d’or à Venise en 1994 et a déjà été maintes fois présent à la Berlinale où il remporta un Ours d’argent en 2014.

Days
© Homegreen Films

Film sans dialogue, mais pas muet pour autant, puisque le réalisateur joue avec les sons qui contrastent ainsi avec le silence de ses deux protagonistes. La photo illustrant le film est d’ailleurs particulièrement trompeuse, car elle laisse présager d’une certaine sensualité et d’un récit animé par la passion. C’est tout le contraire: Tsai Ming-Liang nous impose une longue succession de plans fixes interminables et sans aucun intérêt: le personnage principal lavant ses légumes ou écoutant, assis sur une chaise, la pluie tomber, des casseroles dans lesquelles cuisent le repas du soir, l’autre personnage principal arpentant lentement une rue déserte, etc.

Certes, Days contient un aspect méditatif et un appel à la contemplation indéniables, de même que le travail sur le son est à souligner. Mais étalées sur 127 minutes, ces séquences n’ont réussi à susciter chez nous qu’un ennui des plus profonds. Le cinéma d’auteur dans ce qu’il a assurément de plus hermétique!

Irradiés (♥♥♥), de Rithy Panh, est le seul documentaire présent en Compétition officielle. Une nouvelle oeuvre remarquable du réalisateur qui poursuit inlassablement le travail de mémoire. Ici, ce n’est pas uniquement au Cambodge qu’il s’attache, mais aux ravages causés par de nombreuses guerres du 20e siècle, dressant ainsi  un constat implacable sur la folie destructrice dont est capable l’être humain.

Irradiés
© Rithy Panh

Usant d’un montage aussi audacieux que minutieux -l’écran, divisé en 3, nous fait voir la plupart du temps 2 images identiques à ses extrémités et une 3e différente en son centre- Rithy Panh nous montre et nous remontre l’horreur dans sa pleine dimension. Images d’archives terrifiantes hélas déjà vues et revues pour certaines d’entre elles, mais qu’il faut néanmoins revoir pour toujours garder à l’esprit les abominations causées au nom des idéologies fanatiques.

A ces images, le réalisateur ajoute des dialogues à la tonalité poétique et métaphysique lus en voix off par André Wilms et Rebecca Marder. Une nouvelle fois, loin de se répéter, Rithy Panh parvient encore à se renouveler, à créer et à inciter à la réflexion. Un si bel accomplissement cinématographique ne peut décemment pas être oublié par le jury de la Berlinale.

Enfin, en provenance d’Iran, There is No Evil (♥♥♥) , de Mohammad Rasoulof, qui n’était malheureusement pas présent à Berlin pour la projection de son film: interdit de quitter son pays depuis les ennuis qu’il a rencontrés suite au tournage de l’excellent Un homme intègre (qui dénonçait la corruption endémique en Iran), l’homme soit également user de nombreux stratagèmes pour parvenir à pratiquer son art.

There is No Evil
© Cosmopol Film

Malgré toutes ces vicissitudes, There is No Evil n’en constitue pas moins une éclatante réussite. Avec un récit divisé en 4 parties bien distinctes, mais qui restent néanmoins interconnectées par un lien ténu, le film raconte le destin de 4 personnages masculins: Heshmat, mari et père exemplaire, qui se lève tôt chaque matin pour aller à son travail (un emploi dont on ne découvrira la nature qu’à la toute fin de cette partie); Pouya, un jeune homme en plein service militaire qui ne peut accepter l’idée de devoir mener un condamné à mort à son exécution; Javad, militaire lui aussi, qui va faire une découverte bouleversante le jour même où il compte demander celle qu’il aime en mariage; et enfin Bahram, un médecin vivant dans la lointaine campagne et qui va profiter de la présence de sa jeune nièce, installée en Allemagne, pour se livrer à de surprenantes révélations.

Autant d’histoires qui cherchent à montrer l’Iran dans toute sa complexité, mais aussi à condamner les faiblesses d’un régime qui semble refuser de vouloir tenir compte des aspirations de son peuple à davantage de liberté. There is No Evil, un excellent exemple de cinéma d’auteur rendu accessible au plus grand nombre et une superbe réussite en matière de réalisation.

Olivier Clinckart

 

 

70e Berlinale: du cinéma d’auteur à la hauteur

Si notre article précédent évoquait des films globalement décevants, d’autres longs-métrages en Compétition officielle ont davantage suscité notre intérêt.

My Little Sister (Schwesterlein) (♥♥), de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, avec Nina Hoss et Lars Eidinger. Lisa a renoncé à ses ambitions de dramaturge à Berlin et a déménagé en Suisse avec ses enfants et son mari, qui y dirige une école internationale. Lorsque son frère jumeau Sven, acteur vedette d’un théâtre berlinois, tombe malade de la leucémie, Lisa retourne dans la capitale allemande. Son espoir de revenir sur scène donne à Sven la force dont il a besoin pour lutter contre la maladie.

My Little Sister
© Vega Film

L’excellente actrice allemande Nina Hoss (Phoenix, Barbara, A Most Wanted Man…) partage la tête d’affiche de ce drame intimiste avec Lars Eidinger (lequel est également un des acteurs principaux d’un autre film projeté à la Berlinale, mais hors compétition: The Persian Lessons). Tous deux livrent une belle prestation en jumeaux devant faire à une réalité inéluctable: la maladie du frère, à laquelle sa patite soeur -elle est née 2 minutes après lui- refuse de se résigner, ne pouvant se résoudre à l’idée de perdre son double. Les deux réalisatrices aux commandes de My Little Sister abordent ici un sujet douloureux sans jamais verser dans le larmoyant mais toujours avec un regard chaleureux à l’égard de leurs personnages.

Bad Tales (Favolacce) (♥♥) , de Fabio et Damiano D’Innocenzo, avec Elio Germano et Barbara Chichiarelli. La chaleur estivale étouffante sévit dans la banlieue de Rome. Beaucoup de familles issues de la classe populaire vivent ici et ressassent leur frustration de se sentir appartenir aux laissés pour compte.

Bad Tales
© Pepito Produzioni / Amka Film Production

Autre duo de réalisateurs, les frères D’Innocenzo portent un regard tout sauf… innocent mais plein de cynisme sur leurs semblables, dans leur film en forme de conte qui se penche sur plusieurs familles italiennes au cours d’un été torride. Si les promesses entrevues au début du récit ne sont pas entièrement tenues -l’impression qui se dégage étant que les frangins ne sont pas allés au bout de leur propos-, ce Bad Tales n’en dégage pas moins une atmosphère des plus particulières qui lui confère une saveur toute particulière. Et le comédien Elio Germano, sublime dans son interprétation du peintre Antonio Ligabue dans Hidden Away,  se retrouve également au générique de ce film qui mérite l’attention.

Dau. Natasha (♥♥)  de Ilya Khrzanovskiy et Jekaterina Oertel, avec Natalia Berezhnaya. Natasha et Olga travaillent à la cantine d’un institut de recherche soviétique secret. Le jour où un scientifique français visite les lieux pour y contribuer à des recherches, la vie de Natasha va prendre une tournure inattendue.

DAU. Natasha
© Phenomen Film

Difficile de sortir indifférent de la vision de DAU. Natasha, qui propose une expérience cinématographique marquante. Et d’expérience il est bel et bien question ici: le « DAU » du titre fait en effet référence à un projet pharaonesque -ayant fait l’objet d’une exposition à Paris en 2019-  dont le but est de vouloir proposer des expériences psychologiques, intellectuelles, physiologiques et spirituelles. De ce projet est né une dizaine de longs-métrages mettant en scène des comédiens non-professionnels qui se retrouvent au coeur de scènes au réalisme tellement impressionnant qu’elles peuvent inévitablement déranger certains spectateurs. Pourtant, il convient de replacer le récit du film dans son contexte: DAU. Natasha est avant tout la dénonciation de ce que fut le système totalitaire soviétique, restitué ici dans son aspect lugubre et oppressant. Pour son aspect clairement expérimental, il est évident que cette démarche artistique suscitera le débat entre partisans et détracteurs. Mais on ne peut qu’accorder une mention toute particulière à Natalia Berezhnaya, impressionnante dans le rôle de Natasha.

Berlin Alexanderplatz (♥♥♥) de Buran Qurbani, réalisateur allemand d’origine afghane. Avec Welket Bungué, Albercht Schuch et Jella Haase. Francis, un migrant, a survécu de justesse à la noyade, mais sa compagne n’a pas eu la même chance. Lorsqu’il se réveille sur une plage du sud de l’Europe, il est déterminé à vivre désormais une vie régulière et décente. Mais il se retrouve dans l’actuel Berlin où un apatride sans permis de travailne vaut pas grand-chose.

Berlin Alexanderplatz 
© Wolfgang Ennenbach/2019 Sommerhaus/eOne Germany

Berlin Alexanderplatz, c’est évidemment et avant tout le grand classique de la littérature au titre éponyme, écrit par Alfred Döblin et publié en 1929, mais aussi  la série télévisée en 14 parties tournée par Rainer Werner Fassbinder en 1980. Buran Qurbani s’est donc lancé dans un pari hautement risqué en se lançant dans sa propre adaptation de ce récit, qu’il divise en 5 chapitres- et en le replaçant dans un contexte contemporain. Mais le pari est réussi: son excellente mise en scène et le scénario prenant font de ce film-fleuve de 183 minutes un très bon moment de cinéma qui bénéficie par ailleurs d’interprètes particulièrement inspirés. Assurément un des meilleurs films -si pas le meilleur!- de cette 70e Berlinale.

Olivier Clinckart

70e Berlinale: du cinéma d’auteur pas toujours à la hauteur

La Berlinale a toujours eu la réputation de proposer une programmation très en phase avec le cinéma dit d’auteur, permettant ainsi au grand public et aux nombreux cinéphiles berlinois de découvrir des films qui ne sortiront pas forcément en salles, mais qui n’en possèdent pas moins de nombreuses qualités cinématographiques.

La nouvelle co-direction du Festival a-t-elle eu l’intention de réaffirmer cette identité qui lui est propre? Toujours est-il que les longs-métrages en Compétition officielle dans cette édition 2020 semblent confirmer cette sensation. Mais encore faut-il toutefois que la qualité soit au rendez-vous… Hélas, force est de constater que plusieurs films déçoivent -en partie ou assez largement- les attentes cette année.

Undine (♥1/2), de Christian Petzold, avec Franz Rogowski et Paula Beer. Le cinéma allemand est forcément toujours très attendu à  la Berlinale et Christian Petzold en constitue un des représentants bien en vue, lui à qui on doit les superbes Barbara (en 2012) et Phoenix (en 2014). Son avant-dernier film, Transit, avait toutefois déçu, et Undine laisse à son tour une impression mitigée.

Undine
© Christian Sculz/Schramm Films

Les ondines, dans la mythologie germanique, sont des nymphes ou génies des eaux. Et Undine, c’est le prénom d’une jeune femme qui travaille comme historienne et guide de musée à Berlin. Elle connaît l’histoire de la ville sur le bout des doigts. Suite à une déception amoureuse, elle rencontre Christoph, un plongeur, qui s’éprend aussitôt d’elle. Petzold revisite donc la légende en la transposant à notre époque et à travers l’amour de deux êtres. Le réalisateur peine pourtant à insuffler toute la passion espérée dans sa mise en scène. Dommage car, comme pour Transit, il fait à nouveau appel au même et excellent duo de comédiens composé de Franz Rogowski et de l’éblouissante Paula Beer, tous deux encore trop peu connus dans nos pays francophones mais dotés d’un grand talent.

The Woman Who Ran (♥1/2) , de Hong Sang-soo. Réalisateur boulimique, le sud-coréen se retrouve une nouvelle fois en Compétition officielle à Berlin. Quoi de neuf au pays du matin calme? Pas grand-chose, à vrai dire. Hong Sang-soo nous fait suivre une jeune femme rendant visite à plusieurs de ses amies. Autour de ces rencontres se déroulent des conversations sur l’amour, l’amitié, la cohabitation, la vie au quotidien. Le cinéaste fait donc ce à quoi il nous a habitué dans ses films précédents: de longues discussions, généralement autour d’une table, et des scènes systématiquement ponctuées par un brusque zoom sur un des personnages. L’ensemble ne manque pas de charme et se laisse regarder sans déplaisir, mais il s’en dégage inévitablement une impression de déjà-vu qui n’apporte rien de neuf à la filmographie de Hong Sang-soo.

The Woman Who Run
© Jeonwonsa Film Co. Production

Siberia () , d’Abel Ferrara, avec Willem Dafoe, Cristina Chiriac. On sait qu’Abel Ferrara a renoncé aux substances hallucinogènes qu’il a consommé en grandes quantités pendant de nombreuses années. Il semble désormais que le fantasque réalisateur américain ait décidé de vivre ses trips hallucinatoires via ses films, et ce n’est pas son dernier long-métrage en date qui démentira cette impression. En s’entourant à nouveau de ses proches (Willem Dafoe, devenu un ami et acteur fétiche depuis quelques années, et sa compagne Cristina Chiriac), Ferrara cherche visiblement à se faire plaisir, sans trop se soucier de donner un sens à son film. On ne saurait d’ailleurs mieux résumer ce dernier que par la question d’une journaliste au cinéaste lors de la conférence de presse: « Finalement, n’est-ce pas à chacun de trouver un propre sens à Siberia? », ce à quoi Ferrara répondit avec le sourire: « Votre question n’est pas une question, mais une réponse! ».

© Vivo film/maze pictures/Piano, 2020

De fait, bien malin qui pourrait donner un sens précis à ce voyage entre rêve et réalité, que l’aspect hermétique rend bien peu accessible. Reste un beau travail du chef opérateur au niveau de la photographie, et un Willem Dafoe égal à lui-même et qui s’investit dans son rôle.

The Roads Not Taken (), de Sally Potter, avec Javier Bardem, Salma Hayek, Elle Fanning et Laura Linney. Solide casting à l’affiche du dernier film de Sally Potter, qui avait enthousiasmé le public de la Berlinale en 2017 avec le succulent The Party, comédie noire délicieusement cynique et qui était repartie injustement bredouille de la Compétition. C’est dire si les attentes étaient grandes pour The Roads Not Taken… et la déception fut à la hauteur de ces attentes. En effet, il fut bien difficile de s’intéresser au parcours du personnage principal, Leo (Javier Bardem), atteint de démence précoce et perdant peu à peu tout sens des repères. Seule sa fille Molly (Elle Fanning) s’investit au maximum pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être chez ce père dont la mémoire s’estompe inexorablement.

The Roads Not Taken
© Adventure Pictures

Ce sujet fort, Sally Potter y travaillait déjà plusieurs années, avant même de réaliser The Party. La thématique, il est vrai, la touche de près, un de ses frères ayant été atteint par le même mal que Leo. Dommage que sa mise en scène, qui multiplie les flashbacks, manque singulièrement d’âme et d’émotion, nous empêchant de nous attacher à ses personnages.

Never Rarely Sometimes Always (), de Eliza Hittman, avec Sidney Flanigan et Talia Ryder. Autumn a 17 ans et a grandi dans une petite localité de Pennsylvanie. Le jour où elle découvre qu’elle est enceinte, elle ne voit qu’une solution pour interrompre cette grossesse non désirée: partir à New York, où la législation en la matière est bien moins contraignante que dans l’Etat où elle réside. Sa cousine Skylar est prête à l’accompagner pour l’aider dans sa démarche.

Never Rarely Sometimes Always
© 2019 Courtesy of Focus Features

C’est un sujet fort abordé par Eliza Hittman, qui montre ici la difficulté que représente le droit à l’avortement aux Etats-Unis, selon que la loi de tel ou tel Etat soit plus ou moins conservatrice. Hélas, plutôt que de se concentrer sur cette thématique, la réalisatrice a choisi d’y adjoindre un propos manichéen qui déforce son scénario. En effet, les personnages masculins du film (l’ex-petit ami d’Autumn; le père de celle-ci, au comportement ambigu vis-à-vis de sa fille; le gérant harceleur du magasin où travaille la jeune femme et sa cousine; et un jeune homme qui va croiser leur route à New York) sont tous montrés comme des oppresseurs. Cette constatation, si elle se rencontre hélas dans la société, semble décrite ici comme une généralité, créant un certain malaise quant aux intentions de la cinéaste. Par ailleurs, la mise en scène particulièrement fade donne à Never Rarely Sometimes Always un air de téléfilm d’après-midi, alors que le sujet prêtait pourtant à un long-métrage nettement plus percutant.

Olivier Clinckart

70e Berlinale: Ne pas effacer l’historique

La meilleure surprise d’une Compétition officielle très en demi-teinte jusqu’à présent, c’est incontestablement Effacer l’historique (♥♥♥), la comédie française du tandem Gustave Kervern-Benoît Delépine. Les deux cinéastes reviennent très en forme avec leur satire du monde 2.0 dans lequel nous vivons, où tous les satellites et les technologies numériques qui nous entourent sont censés nous rendre la vie tellement plus simple, mais ne font en réalité que la compliquer toujours davantage.

Effacer l'historique
© Les Films du Worso / No Money Productions

Les trois interprètes principaux contribuent pleinement à la réussite du film: Blanche Gardin démontre qu’elle n’est pas “seulement” une excellente humoriste mais aussi une très bonne actrice, Corinne Masiero fait toujours preuve du même bagoût et de la même spontanéité et Denis Podalydès livre une prestation à la hauteur de son talent. Leurs personnages -accompagnés par quelques caméos très savoureux- sont tous les trois paumés dans cette société qui va trop vite pour eux et qui ne fait, au final, que renforcer leur solitude. Mais heureusement, rien n’est perdu et ils vont démontrer que la solidarité n’est pas un vain mot!

La grande force du film réside dans cette capacité à faire rire très souvent alors qu’il aborde en fait des réalités aussi effarantes qu’inquiétantes de notre société moderne. Cet équilibre subtil développé par Kervern et Delépine débouche sur une fort agréable surprise qui mérite assurément de repartir de la Berlinale avec l’une ou l’autre récompense.

Dans un registre très différent, un autre film, italien celui-là, mérite également l’attention. Hidden Away (Volevo Nascondermi pour le titre original) (♥♥1/2), de Giorgio Diritti, évoque la vie étonnante et le parcours cabossé du peintre naïf Antonio Ligabue (1899-1965). L’homme, dont les troubles psychiatriques asses sévères dont il souffrait , fut d’abord traité comme un paria de la société, avant qu’un autre peintre, conscient de son talent, ne l’héberge et lui permette, peu à peu, de connaître une existence meilleure, même si son entourage n’était pas composé uniquement de gens désintéressés.

Hidden Away (Volevo Nascondermi)
© Chico De Luigi

L’exercice du biopic n’est jamais simple, mais celui-ci a le mérite, malgré sa forme assez classique, de mettre en lumière le destin d’un homme hors du commun et de le faire connaître auprès du plus grand nombre. Le comédien Elio Germano compose une incarnation époustouflante d’Antonio Ligabue et un Ours d’Argent du Meilleur acteur se justifierait pleinement à ce stade-ci de la Compétition.

Enfin, Philippe Garrel revient avec son dernier long-métrage, Le sel des larmes (♥♥), qui raconte le parcours de Luc, jeune homme fraîchement débarqué à Paris pour y suivre des études de menuiserie et marcher ainsi dans les pas de son père. Il fait la rencontre de la ravissante Djemila et son coeur ne tarde pas à battre la chamade pour cette jolie jeune femme. Mais la difficulté de poser des choix clairs ne sera pas sans influence sur la vie de Luc.

Le sel des larmes
© G. Ferrandis 2019/RECTANGLE PRODUCTIONS CLOSE UP FILMS-ARTE FRANCE CINEMA RTS RADIO TELEVISION SUISSE

C’est avec un beau noir et blanc, qui donne à l’ensemble un charme désuet, que Garrel suit ses personnages et décrit l’inconstance de son personnage principal dans son parcours sentimental, sans pour autant le juger. Il en découle une jolie réflexion sur le temps qui passe et les amours perdues dont on regrette leur saveur tout en sachant pertinemment bien qu’elles ne reviendront plus. Aux côtés de Logann Antuofermo (Luc), on retrouve Oulaya Amamra, Louise Chevillotte, Souheila Yacoub et le touchant André Wilms dans le rôle du père.

Certes, grand admirateur de l’oeuvre de Godard et de Truffaut, Garrel fait du Garrel et ne se renouvelle pas. Mais qu’importe s’il continue à raconter les mêmes choses, tant qu’il les raconte bien.

Olivier Clinckart

70e Berlinale: les premiers films en Compétition officielle

Le premier long weekend de la Berlinale aura laissé une impression en demi-teinte quant aux premiers films de la Compétition officielle.

Pour son second long-métrage, The intruder (El Profugo) () la réalisatrice argentine Natalia Meta a voulu apporter une touche de fantastique au Festival. Le personnage principal du film, Inés, est chanteuse dans une chorale de Buenos Aires et officie également dans le doublage, où elle prête sa voix pour la version en langue espagnole de productions étrangères. Mais depuis qu’elle a vécu une expérience traumatisante lors de vacances récentes, elle souffre d’insomnies et fait de violents cauchemars. Et les choses ne semblent pas s’améliorer, puisque les micros du studio de doublage enregistrent à présent des sons étranges qui paraissent provenir des cordes vocales d’Inés.

The intruder (El Profugo)
© Rei Cine SRL, Picnic Producciones SRL

Natalia Meta a adapté un roman d’horreur très connu en Argentine, El mal menor, de C.E. Feiling. Il en résulte une tentative pas franchement réussie de film de genre où le scénario brille un peu trop par son absence et ne se démarque en rien de nombreuses productions du même acabit. Il faut néanmoins saluer le travail sur le son ainsi que la prestation de l’actrice principale Erica Rivas, mais l’intrigue en elle-même s’oublie très rapidement.

On ne sera guère plus élogieux à l’égard de First Cow () , de Kelly Reichardt, même si la Critique était davantage divisée sur le film de la cinéaste américaine (Wendy & Lucy, Night Moves, Certain Woman). C’est que l’on accroche ou pas au style de la réalisatrice, qui propose ici un western en forme de comédie, à moins qu’il ne s’agisse d’une comédie en forme de western. Quoi qu’il en soit, le scénario suit le cheminement de deux hommes amenés à devenir amis et qui tentent de survivre dans ce qui va devenir la Colombie britannique, en chapardant du lait sur la seule vache des environs. Lait grâce auquel ils vont penser faire de bonnes affaires en préparant des petits gâteaux qui ne vont pas tarder à attirer de nombreux amateurs.

First Cow
© Allyson Riggs/A24

On est évidemment à mille lieues de l’imagerie traditionnelle du western hollywoodien dans First Cow (tourné par ailleurs dans le format particulier 1,37:1), et c’est clairement ce qui aurait pu en faire son originalité. En lieu et place, Kelly Reichardt choisit dès la pemière scène de nous expliquer -même si on ne le comprend pas immédiatement- ce qui va arriver aux deux protagonistes de son récit. Et pour en arriver là, justement, encore faudra-t-il patienter longuement, le temps pour le scénario d’avancer avec une lenteur qui nous désintéresse rapidement des aventures des deux compagnons de route. Et l’humour très premier degré -et franchement pas vache- des situations qui se veulent comiques ne nous a pas davantage convaincus. Pas de quoi boire du petit lait, donc, en sortant de la projection, si ce n’est pour le soin apporté à la photographie.

Le manque d’enthousiasme sera identique en ce qui concerne All the Dead Ones (Todos os Mortos) () qui ne ment pas sur son titre, tant il est souvent d’un ennui mortel. La faute peut-être à un projet ambitieux mais rendu de manière complexe par  le duo de réalisateurs -Caetano Gotado et Marco Dutra- et dès lors difficilement abordable à tout qui n’en possède pas les clés de lecture. Située en 1899, quelques années après l’abolition de l’esclavage au Brésil, l’histoire suit quelques femmes de la famille Soares, qui a jadis fait fortune dans le commerce du café, et d’anciennes esclaves devenues domestiques de la famille précitée. Dans ce monde en pleine évolution, où les anciennes règles n’ont plus cours mais sans pour autant avoir déjà été remplacées par de nouvelles dispositions claires, les relations entre les personnages n’auront rien de simple.

All the Dead Ones (Todos os Mortos)
© Hélène Louvart/Dezenove Som e Imagens

Il ne fait aucun doute que Caetano Gotado et Marco Dutra ont voulu dire de nombreuses choses quant à l’évolution de leur pays et il est fort probable aussi qu’il faille y voir également une allusion au Brésil contemporain. Mais la relative opacité du récit, la qualité fort variable des interprètes et le manque cruel de rythme -un comble alors que la musique est assez souvent présente dans le film- font qu’il est bien difficile de s’intéresser à All the Dead Ones autrement que pour les quelques évènements marquants de l’histoire du Brésil qu’il porte à notre connaissance.

Olivier Clinckart

 

70e Berlinale: Une fringante septuagénaire

A l’instar de Cannes et Venise, les 2 autres grands festivals européens, Berlin passe à son tour le cap symbolique des 70 années d’existence. Créé en 1951, il se tenait initialement en été avant de migrer depuis 1978 vers le climat moins généreux du mois de février. Qu’importe! Si la météo n’incite guère à flâner dans cette grande ville (quoique certaines éditions ont connu un climat particulièrement doux et ensoleillé), ce n’est qu’une motivation supplémentaire pour découvrir un maximum de films bien au chaud dans les salles obscures.

Le tant convoité Ours d'Or
Ali Ghandtschi © Berlinale 2008

Qui dit édition anniversaire dit parfois aussi changement. Celui d’envergure est l’arrivée d’un duo de directeurs pour remplacer Dieter Kosslick, qui a tiré sa révérence l’an dernier après avoir dirigé la Berlinale depuis 2002. Ces successeurs sont Mariette Rissenbeek et Carlo Chatrian.

Mariette Rissenbeek et Carlo Chatrian
© Alexander Janetzko

Mais un autre ancien directeur a aussi fait indirectement parler de lui -et de manière bien plus négative- peu avant le début de cette 70e Berlinale. Alfred Bauer, qui a été le tout premier à diriger le Festival de 1951 à 1976, aurait eu un rôle actif dans le cinéma de propagande nazi, sous les ordres de Josef Goebbels. C’est le journal Die Zeit qui a exhumé ce passé que Bauer aurait tenté méticuleusement d’effacer après la guerre.

Alfred Bauer, directeur de la Berlinale de 1951 à 1976

Une révélation des plus embarrassantes pour la Berlinale, puisqu’une de ses récompenses les plus prestigieuses est précisément dénommée « Prix Alfred-Bauer, qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière ». Ne voulant laisser aucune place à la polémique, les organisateurs ont rapidement tranché: ledit prix est suspendu, au moins pendant le temps nécessaire pour mener des recherches approfondies quant au rôle exact joué par Alfred Bauer pendant la sombre période nazie.

C’est donc le jeudi 20 février que le rideau s’est ouvert sur cette 70e édition, avec la projection (hors compétition) de My Salinger Year, du Canadien Philippe Falardeau avec Sigourney Weaver et Margaret Qualley. Basé sur l’oeuvre éponyme de Joanna Rakoff, le film raconte l’histoire d’une jeune femme rêvant de devenir écrivaine et qui réussit à se faire embaucher comme assistante de l’agente littéraire de J. D. Salinger.

Dès le lendemain, 21 février, la Compétition officielle allait pouvoir dévoiler ses premiers titres.

Olivier Clinckart