Burning – Sélection officielle

Tout feu, tout flammes♥♥♥

Lors d’une livraison, Jongsu, un jeune coursier, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant un voyage en Afrique. À son retour, Haemi lui présente Ben, un garçon mystérieux qu’elle a rencontré là-bas.
Un jour, Ben leur révèle un bien étrange passe-temps…

Adapté d’une nouvellede Murakami, Burning possède la fièvre un peu inquiète, constamment au bord du thriller, des films de la Nouvelle Vague. Les trois se fréquentent, se jaugent un peu, se frottent au cadre, se tournent autour dans une petite musique intime étrange, envoûtante, avec une légèreté feinte qui cache le drame. Burning fait partie de ces films rares qui s’emparent de vous, ne vous lachent plus. Comme un ballet de feux follets qui très progressivement vous dévoilent leurs mystères. La photo sublime participe de cet effet d’un film sinueux et captivant, qui marque le grand retour du cinéaste à Cannes cette année. Trio amoureux, amitié teintée de rivalité, Burning palpite d’une poésie sombre et envoûtante.

Thierry Van Wayenbergh

 

 

Le livre d’image – Sélection officielle

Image et verbiage

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Comment qualifier le dernier film en date de Jean-Luc Godard, si ce n’est par l’adjectif « expérimental »? Avec, inévitablement, une question qui vient à l’esprit: tout autre réalisateur que lui aurait-il eu les honneurs d’une Compétition officielle cannoise avec un tel objet cinématographique?

Le livre d’image, inévitablement, est en effet appelé à diviser la Critique. Si les admirateurs de Godard y trouveront sans doute un nouveau trait de génie du cinéaste suisse, ses détracteurs, au contraire, auront du mal à supporter l’entièreté de la vision de ce véritable bombardement d’images (le titre n’est donc nullement trompeur) qui se poursuit sans discontinuer, avec comme ponctuation les commentaires du réalisateur en voix off.

Si nous n’avons pas adhéré à sa démarche, il faut toutefois reconnaître à Godard un sens de la recherche permettant de livrer une proposition filmique, aussi déconcertante soit-elle. Traduisant à sa manière l’amour qu’il porte au 7e Art, nul doute que l’homme a encore bien des choses à raconter.

Olivier Clinckart

 

Under the silver lake – Sélection officielle

Sous influence(s)

Le titre accrocheur et le réalisateur (auteur de la bombe indé horrifique It Follows) auguraient du meilleur. D’autant que David Robert Mitchell, désertant l’horreur insidieuse, change radicalement son fusil d’épaule. En suivant les pas de Sam (Andrew Garfield, inodore, incolore, insipide), jeune gaillard à la trentaine désabusée auquel une jolie voisine va faire tournebouler la tête lorsqu’elle s’évanouit sans prévenir dans un Los Angeles capté avec génie par le directeur photo Mike Gioulakis.

Et Sam de s’enfoncer tel un Marlowe de pacotille dans les allées sinueuses d’un cauchemar éveillé pour une enquête effrénée menée à deux à l’heure où rôdent un tueur de chiens, des filles faciles, de drôles de magouilles, une femme-chouette tueuse et quelques zinzins vaguement cousins du Christ Cosmique. Bref, de quoi triper sévère, mais visiblement pas pour Sam, qui traverse ces petites zones de turbulence avec la même tête hébétée et sans rien comprendre de ce qu’on lui veut. A l’image du spectateur qui, assommé de vignettes pop ultra-référencées mais agencées sans la moindre idée de scénario (une lasagne composée de Lynch, Hitchcock et Araki), finit par jeter l’éponge.

Thierry Van Wayenbergh

 

 

Dogman – Sélection officielle

La revanche des petits♥♥♥

Dans une banlieue déshéritée, Marcello, toiletteur pour chiens discret et apprécié de tous, voit revenir de prison son ami Simoncino, un ancien boxeur accro à la cocaïne qui, très vite, rackette et brutalise le quartier. D’abord confiant, Marcello se laisse entraîner malgré lui dans une spirale criminelle. Il fait alors l’apprentissage de la trahison et de l’abandon, avant d’imaginer une vengeance féroce…

« Mais qui est ce type? Comment est-on passé à côté de lui durant toutes ces années? » A la sortie du film de Matteo Garrone, les mêmes questions fusent au sujet de l’acteur Marcello Fonte. Et une évidence s’impose d’elle-même, mettant d’accord tout le petit monde de la Critique: la Palme d’Or d’interprétation masculine ne devrait pas pouvoir échapper à ce petit bonhomme de 39 ans tout mince aux allures du Al Pacino de L’épouvantail de Schatzberg.

Dogman marque le retour réussi de Garrone au polar brut après son éblouissant Gomorra. Thriller en forme de conte noir sur la violence ordinaire, ce film s’avère une plongée saisissante dans l’Italie des démunis, où la magouille permet de garder la tête hors de l’eau et où les combats pour retrouver sa dignité ont une odeur de soufre. Jusqu’au-boutiste, Garrone ne laisse pas de place à la moindre parcelle de sentimentalisme. Poussé dos à son destin par une brute épaisse, c’est dans ses derniers retranchements, au cœur de sa propre bestialité que le petit toiletteur pour chiens devra aller puiser pour résoudre jusqu’au tragique son équation intime: celle d’un homme qui désirait simplement vivre sa vie en paix avec ses chiens, sa gamine et ses amis du quartier.

Thierry Van Wayenbergh


 

Une affaire de famille – Sélection officielle

Famille adoptée

♥♥♥

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Grand habitué des honneurs de la Croisette (5 participations à la Compétition officielle depuis 2001!), Hirokazu Kore-eda revient avec un drame subtil, avec cette histoire d’une famille pas vraiment comme les autres, où les codes moraux traditionnels sont laissés au placard. Pourtant, et c’est là toute l’habileté du scénario et de la mise en scène, impossible de ne pas ressentir de l’empathie pour ces personnages, tous plus ou moins marginaux, qui ont su se créer un microcosme au sein duquel l’affection et l’amour sont présents. D’où, par extension, la réflexion puissante que lance Kore-eda sur le thème des liens familiaux, au fur et à mesure que les relations entre les personnages se précisent et que la société va chercher à briser la logique qui prévaut dans leur groupe.

Autant de tranches de vie attachantes, voire bouleversantes à l’approche de la conclusion, auxquelles le jury cannois ne restera probablement pas insensible au moment de rendre ses verdicts.

Olivier Clinckart

 

Capharnaüm – Sélection officielle

Au coeur du chaos

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À l’intérieur d’un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans est présenté devant le juge. Emprisonné pour avoir poignardé un homme, il a décidé d’attaquer ses parents en justice.

Emotion au programme avec le nouveau film de Nadine Labaki. Capharnaüm a en effet bouleversé bon nombre de spectateurs, tant la cinéaste libanaise a su représenter avec force certaines réalités de son pays et plus précisément le quotidien de Beyrouth, une ville longtemps déchirée par la guerre et où le chaos et la corruption ont toujours droit de cité.

Presque à la manière d’un reportage, la caméra suit le jeune Zain, en lutte avec ses parents irresponsables qui, pour survivre, n’ont pas hésité à promettre sa jeune soeur préférée de 11 ans à un adulte nanti. Le drame qui va en découler poussera le jeune garçon à fuir le domicile parental et à s’occuper du bébé d’une réfugiée.

Nadine Labaki brasse donc plusieurs thèmes, de la misère à la condition féminine souvent mise à mal dans son pays, en passant par les moeurs déphasées d’une partie de la société libanaise. Tout cela pourrait donner une impression de scénario surchargé, mais il n’en est rien, grâce à l’énergie folle qui se dégage du film, mais aussi -et encore plus- grâce à l’interprétation époustouflante de son jeune acteur, Zain Alrafeea, d’une incroyable maturité pour son âge. Il porte véritablement le récit sur ses frêles épaules, à tel point que certains le verraient bien repartir avec le Prix d’interprétation masculine. Mais le tour de force de la réalisatrice ne s’arrête pas là: elle parvient également à mettre en scène de façon remarquable le bébé dont Zain doit s’occuper, parvenant à capter avec sa caméra et avec un réalisme stupéfiant la moindre expression du bambin, donnant ainsi à son film une intensité rare.

Olivier Clinckart

Trois visages – Sélection officielle

Le nouveau road trip de Panahi

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Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice… Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.

Sans en avoir l’air, Panahi nous dit mille choses sur la condition des femmes et des artistes en Iran dans son dernier film qui se veut aussi un hymne au cinéma et à la liberté. De plus, il nous montre également la vie des villages reculés et en profite par la même occasion pour aborder la thématique de la religion et de certaines croyances avec beaucoup d’humour. Mais le réalisateur -qui tout comme dans son film précédent, Taxi Téhéran, est aussi un des principaux protagonistes du récit- ne se ménage pas en exposant plus d’une fois à l’écran ses petites lâchetés quotidiennes. Et tout cela alors qu’il fait forcément preuve d’une belle audace en filmant des sujets interdits dans un pays dont il ne peut quitter le territoire.

Thierry Van Wayenbergh

Cold War – Sélection officielle

Une guerre froide qui réchauffe le coeur

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Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, Wiktor, un musicien épris de liberté et Zula, une jeune chanteuse passionnée, vivent un amour impossible dans une époque troublée.

Pawel Pawlikowski allait-il parvenir à encore nous surpendre, après le marquant Ida, qui avait décroché l’Oscar du Meilleur film étranger? Les doutes étaient permis lors des premières images de Cold War: même noir et blanc, même format d’image carré…, le réalisateur polonais semblait donc n’avoir pas voulu prendre de risque en restant dans une certaine zone de confort.

Mais les doutes se sont rapidement dissipés. Car le film se révèle d’une efficacité folle et parvient à nous bouleverser, grâce à ses deux formidables interprètes qui incarnent un couple dont l’intense passion amoureuse doit subir avec impuissance les tourments de l’Histoire.

Pratiquant l’ellipse avec brio, Pawlikowski nous fait traverser les années entre Est et Ouest et entre les retrouvailles furtives, puis définitives, de Wiktor et Zula. Tout à la fois sobre et d’une profonde intensité, Cold War présente également le mérite de ne pas tomber dans le piège d’une longueur excessive: alors que la plupart des films en sélection officielle approchent ou dépassent bien souvent les 120 minutes, Pawlikowski parvient en 1h24 seulement à nous conter avec un talent magistral l’histoire d’un couple que la vie cherche à séparer, mais que l’amour tente de réunir, envers et contre tout. Il serait invraisemblable qu’une telle perle cinématographique reparte bredouille du 71e Festival de Cannes.

Olivier Clinckart

 

The House That Jack Built – Sélection officielle (Hors Compétition)

Le grand film que Lars a construit

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États-Unis, dans les années 70. Jack est un tueur en série qui considère chaque meurtre comme une œuvre d’art en soi. Alors que l’ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher, il décide – contrairement à toute logique – de prendre de plus en plus de risques.

Le récent Lion d’Or de Berlin, Touch Me Not, avait profondément divisé le public et la Critique, un certain nombre de spectateurs quittant même la salle pendant la projection. Re-belote, mais cette fois à Cannes, avec le dernier film de Lars Von Trier, qui n’aura donc à nouveau laissé personne indifférent. Belle manière de célébrer enfin le retour du réalisateur danois sur la Croisette, lui qui y était persona non grata depuis l’incident -fortement monté en épingle- lié à ses déclarations maladroites en 2011. Est-ce d’ailleurs pour faire les choses en douceur que les organisateurs ont choisi de projeter The House That Jack Built hors compétition, alors que le film aurait largement pu prétendre aux honneurs de la course à la Palme? Toujours est-il que Von Trier signe ici une nouvelle pépite et que Matt Dillon incarne de façon redoutable un tueur en série aux crimes particulièrement sadiques.

D’emblée, d’ailleurs, le scénario donne le ton, avec une séquence d’ouverture pour le moins suprenante et gratinée interprétée par Uma Thurman et Dillon. Le reste sera du même acabit, avec une violence dont le personnage principal ne se départira pas. Construit en chapitres, avec une voix off et un dialogue entre le meurtrier et un autre personnage dont on ne comprendra le rôle que tardivement, The House That Jack Built ne sera perçu par les détracteurs de Von Trier que comme une énième provocation de sa part. De même, ils jugeront les scènes de violence comme insoutenables. Il s’agirait pourtant là d’une interprétation erronée au premier degré, alors que l’oeuvre du cinéaste doit, justement, se lire au second, voire parfois même au troisième degré.

Car, finalement, où réside la véritable violence dans le film? Dans le comportement de Jack? Certes, mais aussi et tout autant dans l’insupportable indifférence dont peut faire preuve une Amérique confrontée quotidiennement à une violence omniprésente et qu’elle ne réussit pas à endiguer, trop attachée à défendre jusqu’à l’absurde le droit de détenir des armes, alors que celles-ci font des milliers de morts chaque année. Il est donc indispensable de saisir l’aspect métaphorique du récit pour en saisir pleinement toute sa portée. Alors seulement, toutes les prouesses filmiques de son auteur prendront tout leur sens. En ce qui nous concerne, le doute n’est pas permis: Von Trier revient en grande forme au Festival de Cannes!

Olivier Clinckart

 

BlacKkKlansman – Sélection officielle

Black Power

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Au début des années 70, Ron Stallworth devient le premier officier noir américain du Colorado Springs Police Department, mais son arrivée est accueillie avec scepticisme, voire avec une franche hostilité, par les agents les moins gradés du commissariat. Prenant son courage à deux mains, Stallworth va tenter de faire bouger les lignes et, peut-être, de laisser une trace dans l’histoire. Il se fixe alors une mission des plus périlleuses : infiltrer le Ku Klux Klan pour en dénoncer les exactions.

Alors qu’on le pensait en pleine mort artistique, Spike Lee revient et livre avec BlacKkKlansman le film le plus cool de toute sa sélection. Doté d’une image « à grain » des années 70, une référence immédiate aux yeux de Lee au cinéma de la Blaxploitation, mais qui lui donne aussi indéniablement un look vintage très en vogue aujourd’hui, le film conte une ébouriffante histoire tirée d’un fait réel.

Menant son récit sur le mode surréaliste, Lee offre avec BlacKkKlansman la réponse la plus cinglante et la plus drôle à la fois à ce racisme rampant qui a repris du poil de la bête (immonde) un peu partout aujourd’hui. Jouant sur le fil du divertissement ultra-jubilatoire (le film assume à fond sa veine burlesque et kitsch) et de l’appel un peu terrifiant à la vigilance (à la fin du métrage, les images de violences actuelles à Charlottesville, où Lee tacle vertement un certain Trump, font véritablement froid dans le dos, le passage de la fiction à la réalité faisant l’effet d’une méchante gueule de bois) avec une maestria confondante.

Thierry Van Wayenbergh