The Truth About La Dolce Vita ♥♥♥
Vers la fin de 1958, Federico Fellini traverse une période compliquée de sa carrière. Il avait déjà remporté deux Oscars pour La Strada et Les nuits de Cabiria mais personne ne voulait produire son dernier projet : une histoire intitulée La Dolce Vita. Seul Giuseppe Amato, qui avait déjà produit des grands succès comme Umberto D. ou Don Camillo, a compris la nature extraordinaire du sujet. C’est le point de départ du film italien le plus populaire jamais vu à l’étranger et d’un processus de production extrêmement tourmenté marqué par des disputes furieuses entre le réalisateur et les producteurs, des menaces et des revers.
Soixante ans après sa production et pour marquer le centenaire de la naissance de Fellini (1920-1993), The Truth About La Dolce Vita décrit de manière passionnante la genèse de l’un des chefs-d’œuvre les plus emblématiques de l’histoire du cinéma. Bénéficiant d’une reconstitution de décors réussie, de nombreuses séquences d’archives et des témoignages des protagonistes du film, le documentaire se fait le témoin d’une extraordinaire histoire d’amour pour le cinéma : celle d’un producteur pour son film, prêt à tout donner pour que le projet puisse aboutir.

Hopper/Welles ♥♥♥
Orson Welles avait rencontré Dennis Hopper en 1971 pour une conversation à bâtons rompus qui était restée dans les tiroirs jusqu’à présent. Elle a été ressortie des archives pour le plus grand plaisir des cinéphiles qui peuvent écouter ces deux grands noms du cinéma aborder des sujets dont certains n’ont rien perdu de leur actualité de nos jours. Un réalisateur est-il un « dieu » ou un « magicien » ? L’Amérique survivra-t-elle à sa propre violence ?
Projetée Hors Compétition, cette conversation intime et révélatrice entre deux géants du cinéma, enfin rendue accessible à tous, s’avère être une pièce essentielle de l’histoire du cinéma, à la charnière d’une industrie en pleine évolution.

Dear Comrades! ♥♥♥
Novocherkassk, une ville de province dans le sud de l’URSS en 1962. Lioudmila est une fonctionnaire farouchement dévouée au Parti Communiste. Sa fille décide de participer à la grève d’une usine locale et les événements prennent une tournure tragique. Les autorités dissimulent la violence de la répression. Lioudmila se lance alors dans une quête éperdue à la recherche de sa fille disparue.
Andrey Konchalovsky est un vieux de la vieille, et à 83 ans, entre la Mostra et lui c’est une grande histoire d’amour, puisque son premier court-métrage y avait déjà été récompensé en 1962! Si vous n’avez jamais entendu parler du massacre évoqué dans son dernier films, rien d’étonnant à cela, puisqu’il a été occulté par le pouvoir pendant près de 30 ans et que encore aujourd’hui, il reste difficile d’établir les vértitables responsabilités des faits. Le film met en lumière ces faits méconnus et nous ramène à tous les excès du totalitarisme.
Comme l’explique le réalisateur, « Je voulais faire un film sur la génération de mes parents, celle qui a combattu et survécu à la Seconde Guerre mondiale avec la conviction qu’il était honorable de mourir pour la patrie, pour Staline et avec une confiance inconditionnelle dans les objectifs du communisme : créer une nouvelle société grâce aux efforts de millions de personnes. Je voulais reconstituer avec la plus grande précision les événements qui se sont réellement passés et une époque où l’histoire a révélé le fossé infranchissable entre les idéaux communistes et la réalité tragique des faits. Ce film est un hommage à la pureté de cette génération, à ses sacrifices et à la tragédie qu’elle a vécue en voyant ses mythes s’effondrer et ses idéaux trahis. »
De cette reconstitution romancée, Konchalovsky tire une réflexion aussi pertinente que percutante sur les abus des régimes totalitaires. Brillamment interprété, Dear Comrades ! méritait largement le Prix spécial du Jury reçu à la Mostra.

Nuevo Orden ♥♥♥
Dans ce drame dystopique captivant et plein de suspense, un somptueux mariage au sein de deux familles de la classe aisée tourne mal, en plein soulèvement inattendu des classes populaires. Vu à travers les yeux de la jeune mariée et des serviteurs qui travaillent pour et contre sa riche famille, Nuevo Orden retrace l’effondrement d’un système politique et son remplacement par un régime encore plus clivant.
Un film coup de poing que cette brillante dystopie de Michel Franco qui s’est vu décerner le Grand Prix du Jury, même si le réalisateur précisait que les choses se déroulaient déjà en partie de la sorte aujourd’hui : «Nuevo Orden est une vision dystopique du Mexique, mais elle n’est que légèrement différente de la réalité. Les disparités sociales et économiques deviennent actuellement généralisées et insoutenables. Ce n’est pas la première fois que ce pays et le monde sont confrontés à un scénario similaire et que des gouvernements corrompus ont historiquement répondu à toutes les protestations par une violence dictatoriale. Ce film est un avertissement : si l’inégalité n’est pas abordée par des moyens civiques, et si toutes les voix dissidentes sont réduites au silence, le chaos s’ensuit. »
A cet effet, il est intéressant de constater que les deux prix majeurs de la Mostra cette année sont revenus à des films –Nuevo Orden et Nomadland– qui, chacun à leur manière et à chaque fois très efficacement, traitent des laissés-pour-compte de la société. Tout comme l’était déjà Joker l’an dernier à Venise. Mais il est vrai que le cinéma est souvent le reflet de son époque et les jurys de festival récompensent régulièrement des films qui vont dans ce sens. Cette proposition de cinéma très radicale en séduira certains autant qu’elle pourra en choquer d’autres, mais quoi qu’il en soit, impossible de sortir de la vision sans en être secoué.

Nomadland ♥♥♥
Après l’effondrement économique de la cité ouvrière de Empire, dans le Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle.
Chloé Zhao avait réalisé il y a 3 ans The Rider, qui racontait l’histoire d »une ex-étoile montante du rodéo qui essayait de trouver un nouveau sens à sa vie après un accident. Son nouveau film est basé sur le livre Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century, de Jessica Bruder, paru en 2017.
Une autre découverte littéraire a été marquante pour elle: « À l’automne 2018, lors du tournage de Nomadland à Scottsbluff, dans le Nebraska, près du champ gelé d’une récolte de betteraves, j’ai feuilleté Desert Solitaire, d’Edward Abbey, un livre que m’a offert une personne que j’ai rencontrée sur la route. Je suis tombé sur cette citation : « Les hommes vont et viennent, les villes s’élèvent et s’effondrent, des civilisations entières apparaissent et disparaissent, la terre demeure, légèrement modifiée. La terre demeure, et la beauté déchirante où il n’y a pas de cœur à briser… Je choisis parfois de penser, sans doute de manière perverse, que l’homme est un rêve, la pensée une illusion, et que seul le rocher est réel. Roche et soleil. «
Ayant grandi dans les villes de Chine et d’Angleterre, j’ai toujours été profondément attirée par la route ouverte – une idée que je trouve typiquement américaine – la recherche sans fin de ce qui se trouve au-delà de l’horizon. J’ai essayé d’en saisir un aperçu dans ce film, sachant qu’il n’est pas possible de vraiment décrire la route américaine à une autre personne. Il faut le découvrir par soi-même. »
De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern -impeccable Frances McDormand- et l’accompagnent dans sa découverte des vastes étendues de l’Ouest américain.. On suit ses pérégrinations avec une certaine émotion, sans pour autant jamais tomber dans le pathos, mais ce portrait est très profond et captivant d’un bout à l’autre, grâce à la profonde humanité qui se dégage des personnages.
Nomadland oscille donc constamment avec brio entre fiction et documentaire. Ainsi, la localité de Empire existe réellement. Si le sujet parle d’une réalité méconnue liée aux Etats-Unis, impossible de ne pas faire le parallèle avec nos contrées, où les disparités sociales ne cessent, ici aussi, de se creuser toujours davantage. Dernier film en compétition projeté lors de cette 77e Mostra, il en est reparti triomphalement avec un Lion d’Or dont personne ne contestera la légitimité.

Olivier Clinckart