Si notre article précédent évoquait des films globalement décevants, d’autres longs-métrages en Compétition officielle ont davantage suscité notre intérêt.
My Little Sister (Schwesterlein) (♥♥), de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, avec Nina Hoss et Lars Eidinger. Lisa a renoncé à ses ambitions de dramaturge à Berlin et a déménagé en Suisse avec ses enfants et son mari, qui y dirige une école internationale. Lorsque son frère jumeau Sven, acteur vedette d’un théâtre berlinois, tombe malade de la leucémie, Lisa retourne dans la capitale allemande. Son espoir de revenir sur scène donne à Sven la force dont il a besoin pour lutter contre la maladie.
My Little Sister © Vega Film
L’excellente actrice allemande Nina Hoss (Phoenix, Barbara, A Most Wanted Man…) partage la tête d’affiche de ce drame intimiste avec Lars Eidinger (lequel est également un des acteurs principaux d’un autre film projeté à la Berlinale, mais hors compétition: The Persian Lessons). Tous deux livrent une belle prestation en jumeaux devant faire à une réalité inéluctable: la maladie du frère, à laquelle sa patite soeur -elle est née 2 minutes après lui- refuse de se résigner, ne pouvant se résoudre à l’idée de perdre son double. Les deux réalisatrices aux commandes de My Little Sister abordent ici un sujet douloureux sans jamais verser dans le larmoyant mais toujours avec un regard chaleureux à l’égard de leurs personnages.
Bad Tales (Favolacce) (♥♥) , de Fabio et Damiano D’Innocenzo, avec Elio Germano et Barbara Chichiarelli. La chaleur estivale étouffante sévit dans la banlieue de Rome. Beaucoup de familles issues de la classe populaire vivent ici et ressassent leur frustration de se sentir appartenir aux laissés pour compte.
Bad Tales © Pepito Produzioni / Amka Film Production
Autre duo de réalisateurs, les frères D’Innocenzo portent un regard tout sauf… innocent mais plein de cynisme sur leurs semblables, dans leur film en forme de conte qui se penche sur plusieurs familles italiennes au cours d’un été torride. Si les promesses entrevues au début du récit ne sont pas entièrement tenues -l’impression qui se dégage étant que les frangins ne sont pas allés au bout de leur propos-, ce Bad Tales n’en dégage pas moins une atmosphère des plus particulières qui lui confère une saveur toute particulière. Et le comédien Elio Germano, sublime dans son interprétation du peintre Antonio Ligabue dans Hidden Away, se retrouve également au générique de ce film qui mérite l’attention.
Dau. Natasha (♥♥) de Ilya Khrzanovskiy et Jekaterina Oertel, avec Natalia Berezhnaya. Natasha et Olga travaillent à la cantine d’un institut de recherche soviétique secret. Le jour où un scientifique français visite les lieux pour y contribuer à des recherches, la vie de Natasha va prendre une tournure inattendue.
DAU. Natasha © Phenomen Film
Difficile de sortir indifférent de la vision de DAU. Natasha, qui propose une expérience cinématographique marquante. Et d’expérience il est bel et bien question ici: le « DAU » du titre fait en effet référence à un projet pharaonesque -ayant fait l’objet d’une exposition à Paris en 2019- dont le but est de vouloir proposer des expériences psychologiques, intellectuelles, physiologiques et spirituelles. De ce projet est né une dizaine de longs-métrages mettant en scène des comédiens non-professionnels qui se retrouvent au coeur de scènes au réalisme tellement impressionnant qu’elles peuvent inévitablement déranger certains spectateurs. Pourtant, il convient de replacer le récit du film dans son contexte: DAU. Natasha est avant tout la dénonciation de ce que fut le système totalitaire soviétique, restitué ici dans son aspect lugubre et oppressant. Pour son aspect clairement expérimental, il est évident que cette démarche artistique suscitera le débat entre partisans et détracteurs. Mais on ne peut qu’accorder une mention toute particulière à Natalia Berezhnaya, impressionnante dans le rôle de Natasha.
Berlin Alexanderplatz (♥♥♥) de Buran Qurbani, réalisateur allemand d’origine afghane. Avec Welket Bungué, Albercht Schuch et Jella Haase. Francis, un migrant, a survécu de justesse à la noyade, mais sa compagne n’a pas eu la même chance. Lorsqu’il se réveille sur une plage du sud de l’Europe, il est déterminé à vivre désormais une vie régulière et décente. Mais il se retrouve dans l’actuel Berlin où un apatride sans permis de travailne vaut pas grand-chose.
Berlin Alexanderplatz © Wolfgang Ennenbach/2019 Sommerhaus/eOne Germany
Berlin Alexanderplatz, c’est évidemment et avant tout le grand classique de la littérature au titre éponyme, écrit par Alfred Döblin et publié en 1929, mais aussi la série télévisée en 14 parties tournée par Rainer Werner Fassbinder en 1980. Buran Qurbani s’est donc lancé dans un pari hautement risqué en se lançant dans sa propre adaptation de ce récit, qu’il divise en 5 chapitres- et en le replaçant dans un contexte contemporain. Mais le pari est réussi: son excellente mise en scène et le scénario prenant font de ce film-fleuve de 183 minutes un très bon moment de cinéma qui bénéficie par ailleurs d’interprètes particulièrement inspirés. Assurément un des meilleurs films -si pas le meilleur!- de cette 70e Berlinale.
Olivier Clinckart