69e Berlinale: une sélection avec des hauts et des bas

Si les grands festivals permettent de découvrir d’excellents films, toute sélection digne de ce nom comporte également certaines oeuvres dont on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence de leur présence en Compétition.

Ainsi, Out Stealing Horses (♥1/2 ), film norvégien de Hans Petter Moland, raconte l’histoire d’un vieil homme qui, après la mort de sa femme, s’est retiré dans un petit village de Norvège, loin d’Oslo. Lorsqu’il croise une vieille connaissance qu’il n’a plus revue depuis son adolescence, le passé revient aussitôt à la surface. Alternant les flashbacks et les retour au présent, ou en proposant même parfois un flashback dans le flashback, le scénario semble avoir plaisir à jouer avec le temps, mais aussi un peu avec le nôtre. Car si les souvenirs d’adolescence du personnage principal ne manquent pas d’intérêt sur le papier, la manière dont l’intrigue est développée tourne rapidement en rond pour déboucher sur un récit assez vain dont on peine à saisir les tenants et les aboutissants. Reste les beaux paysages de la région frontalière entre la Suède et la Norvège et l’interprétation convaincante du toujours talentueux Stellan Skarsgard. Dommage que l’histoire, prometteuse de prime abord, ne fasse pas preuve de d’avantage d’audace narrative.

The Ground beneath My Feet (), film autrichien de Marie Kreutzer, suit le parcours de Lola, presque trentenaire et brillante consultante en management constamment en déplacement pour l’entreprise dans laquelle elle travaille. Son bel appartement viennois lui sert davantage de boîte aux lettres que de lieu de résidence et elle entretient une liaison passionnée avec sa propre CEO. Bref, tout pour réussir, si ce n’est le petit détail dont elle n’est pas fière et qu’elle cache soigneusement: sa soeur, Conny, qui souffre de troubles mentaux depuis de nombreuses années et qui nécessite une surveillance régulière. En somme, l’ordre d’un côté et le chaos de l’autre. Deux opposés qui vont inévitablement rentrer en collision et auquel Marie Kreutzer donne à mi-course un petit parfum de fantastique: Lola se met à entendre des voix et se demande peu à peu si elle n’est pas aussi atteinte que sa soeur. D’où les ennuis qui vont commencer à son boulot, où la dure réalité d’une entreprise qui ne jure que par la performance ne tolère pas la moindre faiblesse. En mélangeant les thématiques avec une froideur clinique qui ne laisse ressentir aucune empathie pour ses personnages, Marie Kreutzer passe en partie à côté de son sujet et nous laisse de marbre.

Valerie Pachner (The Ground beneath My Feet)

Répertoire des villes disparues () , du Canadien Denis Côté, donne lui aussi à son film un petit air de X-Files. Il ne manque d’ailleurs que la musique de la célèbre série télé pour se croire revenu au temps des aventures de Scully et Mulder, transposées pour l’occasion dans les campagnes paumées du Québec. A Irénée-les-Neiges comme dans tant d’autres villages, la population se raréfie de plus en plus. A tel point que la mort en voiture (par accident ou par suicide?) du jeune Simon Dubé est vécue comme un traumatisme par les habitants qui perdent non seulement une bonne connaissance mais aussi une force vive et pleine d’avenir du village. Mais comme si cela ne suffisait pas, voilà que des phénomènes mystérieux vont commencer à se manifester peu de temps après le décès du jeune homme. Pas de quoi trembler bien longtemps cependant: Denis Côté nous sert de la métaphore à la grosse louche en symbolisant les villages de son Québec natal qui se désertifient par l’apparition de revenants. Des esprits pas bien méchants d’ailleurs, puisqu’ils se contentent de se promener sur leur anciennes terres et d’observer, silencieux, les vivants pas rassurés. Cela pourrait être drôle si Denis Côté ne se prenait pas autant au sérieux, mais au lieu de faire sourire, l’intrigue frôle plutôt le ridicule. Le premier tiers du film, avec ses décors enneigés et son atmosphère froide réussie, laissait pourtant espérer un développement plus subtil de la thématique abordée. Il faut hélas déchanter dès l’apparition de ces fantômes qui rendent le récit presque transparent.

Robert Naylor (Répertoire des villes disparues)

Enfin, I was at home, but (0), de la réalisatrice allemande Angela Schanelec, est à l’image de son titre incomplet: il laisse le spectateur furieusement sur sa faim! Dans une succession interminable de longs plans fixes dont on peine à comprendre quel lien les relie, le film raconte l’histoire d’une mère qui retrouve son fils de 13 ans, après que celui-ci ait disparu pendant une semaine. Tant sa mère que les professeurs de l’adolescent pensent que cette fugue a un lien avec la mort de son père. Cette affaire de famille n’a en fait pas le moindre intérêt pour le spectateur, tant il semble évident que la réalisatrice a surtout aimé se regarder filmer, tout en prétendant insérer dans son récit quelques questions existentielles. C’est du cinéma prétentieux tel qu’on le déteste, une pseudo démarche artistique réservée aux happy few qui y trouveront leur compte. En ce qui nous concerne, voir un tel film se retrouver en Compétition officielle est difficilement compréhensible. I was at home, but, signifie littéralement « J’étais à la maison, mais »: il n’y a pas de « mais » qui tienne, Angela Schanelec aurait en effet mieux fait de rester chez elle plutôt que de tourner ce qui sera probablement le plus mauvais film en compétition de la 69e Berlinale.

Olivier Clinckart

Viceroy’s House

♥♥

Diviser pour ne plus régner

Viceroy’s House,  ou Le dernier vice-roi des indes tel qu’il est exploité en France, était programmé hors compétition dans la Sélection officielle du 67e Festival de Berlin en février. Le film revient sur la période précédant la partition de l’Inde alors sous domination britannique, au moment où le dernier vice-roi des Indes, Lord Mountbatten (incarné par Hugh Bonneville à qui l’excellente Gillian Anderson vole la vedette dans le rôle de son épouse), arrive sur place pour mener le mieux possible cette transition qui promet d’être particulièrement complexe. Le pays tout entier ressemble en effet à une cocotte-minute où les Hindous, les musulmans et les autres ethnies sont prêts à s’affronter pour leur territoire respectif, alors qu’ils avaient coexisté pendant plusieurs siècles.

Le film Earth, qui remonte à 1998, avait déjà abordé cette thématique douloureuse. Vingt ans plus tard, les blessures demeurent profondes, et Viceroy’s House, même s’il manque de nuance, s’avère plus que jamais indispensable pour montrer à quel point les sombres intérêts géopolitiques peuvent briser des peuples entiers. Dans cette optique, le film dépasse ses frontières et prend un aspect universel. La réalisatrice Gurinder Shadha, dont la famille proche fut confrontée à cette tragédie, précisait son intention lors de la conférence de presse à Berlin: « Il est à présent temps d’avancer entre Indiens et Pakistanais, afin que le principe du ‘diviser pour mieux régner’ ne continue pas à gagner la partie. » Le travail à accomplir reste énorme, mais de tels longs-métrages ont le mérite de susciter le débat.

Olivier Clinckart