69e Berlinale: une sélection avec des hauts et des bas

Si les grands festivals permettent de découvrir d’excellents films, toute sélection digne de ce nom comporte également certaines oeuvres dont on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence de leur présence en Compétition.

Ainsi, Out Stealing Horses (♥1/2 ), film norvégien de Hans Petter Moland, raconte l’histoire d’un vieil homme qui, après la mort de sa femme, s’est retiré dans un petit village de Norvège, loin d’Oslo. Lorsqu’il croise une vieille connaissance qu’il n’a plus revue depuis son adolescence, le passé revient aussitôt à la surface. Alternant les flashbacks et les retour au présent, ou en proposant même parfois un flashback dans le flashback, le scénario semble avoir plaisir à jouer avec le temps, mais aussi un peu avec le nôtre. Car si les souvenirs d’adolescence du personnage principal ne manquent pas d’intérêt sur le papier, la manière dont l’intrigue est développée tourne rapidement en rond pour déboucher sur un récit assez vain dont on peine à saisir les tenants et les aboutissants. Reste les beaux paysages de la région frontalière entre la Suède et la Norvège et l’interprétation convaincante du toujours talentueux Stellan Skarsgard. Dommage que l’histoire, prometteuse de prime abord, ne fasse pas preuve de d’avantage d’audace narrative.

The Ground beneath My Feet (), film autrichien de Marie Kreutzer, suit le parcours de Lola, presque trentenaire et brillante consultante en management constamment en déplacement pour l’entreprise dans laquelle elle travaille. Son bel appartement viennois lui sert davantage de boîte aux lettres que de lieu de résidence et elle entretient une liaison passionnée avec sa propre CEO. Bref, tout pour réussir, si ce n’est le petit détail dont elle n’est pas fière et qu’elle cache soigneusement: sa soeur, Conny, qui souffre de troubles mentaux depuis de nombreuses années et qui nécessite une surveillance régulière. En somme, l’ordre d’un côté et le chaos de l’autre. Deux opposés qui vont inévitablement rentrer en collision et auquel Marie Kreutzer donne à mi-course un petit parfum de fantastique: Lola se met à entendre des voix et se demande peu à peu si elle n’est pas aussi atteinte que sa soeur. D’où les ennuis qui vont commencer à son boulot, où la dure réalité d’une entreprise qui ne jure que par la performance ne tolère pas la moindre faiblesse. En mélangeant les thématiques avec une froideur clinique qui ne laisse ressentir aucune empathie pour ses personnages, Marie Kreutzer passe en partie à côté de son sujet et nous laisse de marbre.

Valerie Pachner (The Ground beneath My Feet)

Répertoire des villes disparues () , du Canadien Denis Côté, donne lui aussi à son film un petit air de X-Files. Il ne manque d’ailleurs que la musique de la célèbre série télé pour se croire revenu au temps des aventures de Scully et Mulder, transposées pour l’occasion dans les campagnes paumées du Québec. A Irénée-les-Neiges comme dans tant d’autres villages, la population se raréfie de plus en plus. A tel point que la mort en voiture (par accident ou par suicide?) du jeune Simon Dubé est vécue comme un traumatisme par les habitants qui perdent non seulement une bonne connaissance mais aussi une force vive et pleine d’avenir du village. Mais comme si cela ne suffisait pas, voilà que des phénomènes mystérieux vont commencer à se manifester peu de temps après le décès du jeune homme. Pas de quoi trembler bien longtemps cependant: Denis Côté nous sert de la métaphore à la grosse louche en symbolisant les villages de son Québec natal qui se désertifient par l’apparition de revenants. Des esprits pas bien méchants d’ailleurs, puisqu’ils se contentent de se promener sur leur anciennes terres et d’observer, silencieux, les vivants pas rassurés. Cela pourrait être drôle si Denis Côté ne se prenait pas autant au sérieux, mais au lieu de faire sourire, l’intrigue frôle plutôt le ridicule. Le premier tiers du film, avec ses décors enneigés et son atmosphère froide réussie, laissait pourtant espérer un développement plus subtil de la thématique abordée. Il faut hélas déchanter dès l’apparition de ces fantômes qui rendent le récit presque transparent.

Robert Naylor (Répertoire des villes disparues)

Enfin, I was at home, but (0), de la réalisatrice allemande Angela Schanelec, est à l’image de son titre incomplet: il laisse le spectateur furieusement sur sa faim! Dans une succession interminable de longs plans fixes dont on peine à comprendre quel lien les relie, le film raconte l’histoire d’une mère qui retrouve son fils de 13 ans, après que celui-ci ait disparu pendant une semaine. Tant sa mère que les professeurs de l’adolescent pensent que cette fugue a un lien avec la mort de son père. Cette affaire de famille n’a en fait pas le moindre intérêt pour le spectateur, tant il semble évident que la réalisatrice a surtout aimé se regarder filmer, tout en prétendant insérer dans son récit quelques questions existentielles. C’est du cinéma prétentieux tel qu’on le déteste, une pseudo démarche artistique réservée aux happy few qui y trouveront leur compte. En ce qui nous concerne, voir un tel film se retrouver en Compétition officielle est difficilement compréhensible. I was at home, but, signifie littéralement « J’étais à la maison, mais »: il n’y a pas de « mais » qui tienne, Angela Schanelec aurait en effet mieux fait de rester chez elle plutôt que de tourner ce qui sera probablement le plus mauvais film en compétition de la 69e Berlinale.

Olivier Clinckart

Une leçon d’Histoire à la 69e Berlinale

 

Deux ans après y avoir remporté le Prix Alfred Bauer à Berlin pour Spoor, Agnieszka Holland revenait à la Berlinale pour y présenter Mr. Jones (♥♥ 1/2), lui aussi en Compétition officielle. L’occasion de proposer une intéressante leçon d’Histoire, en ce sens que le film nous éclaire sur le destin assez méconnu de Gareth Jones, jeune journaliste gallois qui, au début des années 30, se retrouva clandestinement en plein coeur de l’Ukraine soviétique, alors décimée par une famine abominable (désignée là-bas sous le terme de « Holodomor », l’extermination par la faim) encouragée par le régime stalinien et qui allait causer la mort de centaines de milliers -si pas de millions- d’individus. Las, tout comme personne dans les hautes sphères ne voulut croire Jones quand il pressentait le danger que représentait l’Allemagne nazie, peu nombreux furent ceux qui voulurent donner écho aux faits terribles que le reporter put décrire à son retour de l’enfer ukrainien.

Cette évocation historique est retracée avec sobriété par la réalisatrice polonaise, dans une mise en scène des plus classiques mais globalement efficace, malgré quelques longueurs dans la première partie du récit. Lequel ne prend véritablement tout son sens qu’au moment où Jones débarque en Ukraine et y est témoin des évènements terrifiants qui s’y déroulent.

Parallèlement, le scénario montre également à quel point l’idéologie stalinienne, tout comme l’idéologie nazie, était capable de subjuguer les individus au point de leur faire perdre tout sens critique. Car, au contraire de Gareth Jones, d’autres journalistes occidentaux se firent les fidèles avocats du communisme à la sauce stalinienne, à l’instar de Walter Duranty, qui remporta le prestigieux Prix Pulitzer en 1932 pour ses reportages très condescendants à l’égard de l’U.R.S.S. Un Prix Pulitzer qui ne lui fut d’ailleurs jamais retiré, même lorsque les mensonges contenus dans son travail devinrent évidents.

Agnieszka Holland

Inévitablement, le dernier film en date de Agnieszka Holland se veut une référence au passé mais aussi au présent, alors qu’un peu partout des mouvements très radicaux, voire  extrêmes, prennent de l’ampleur en Europe. Dans cette optique et malgré son classiscisme, Mr. Jones constitue un rappel pertinent du danger -jamais entièrement écarté- que représentent les idéologies totalitaires.

Olivier Clinckart

L’éventreur de St Pauli à la Berlinale

 

Premier choc de cette 69e Berlinale, le dernier film en date de Fatih Akin, The Golden Glove (♥♥♥), n’aura laissé personne indifférent et a profondément divisé la Critique.

Le film retrace le parcours aussi sinistre qu’authentique de Fritz Honka, tueur en série au faciès difforme ayant sévi à Hambourg au début des années 70. Ses victimes étaient généralement des prostituées qu’il rencontrait au Golden Glove, un bar miteux de son quartier. S’il se débarrassait d’une partie des corps démembrés, il en conservait d’autres parties dans son appartement.

 

Avec un sens aigu du détail, Akin se livre à une reconstitution saisissante des décors et de l’atmosphère de l’époque. Mais surtout, il développe une galerie de personnages d’un sordide absolu, à commencer par le principal protagoniste lui-même, totalement en marge de la société et au physique repoussant. Aux limites du film de genre, The Golden Glove assume totalement son propos et nous gratifie de scènes d’une violence crue qui a provoqué la nausée chez plus d’un spectateur. Mais le réalisateur se défend d’avoir joué la carte du sensationnalisme et précisait à juste titre en conférence de presse qu’il n’a fait que représenter la triste réalité, forcément ultra-violente, des faits.

Nous évoquions plus haut la galerie de personnages sinistres qui évoluent dans The Golden Glove. C’est là un des autres points forts du récit: aussi terrifiants soient-ils, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine forme d’empathie pour ces êtres brisés par la vie et la société et dont on perçoit que le parcours aurait pu être tout autre si le destin leur avait été plus favorable. De fait, si les crimes commis par Fritz Honka sont aussi impardonnables qu’injustifiables, il est difficile de ne pas se sentir interpellé par l’écrasante solitude à laquelle cet individu a été condamné de par sa difformité. La même solitude dans laquelle étaient plongées ses victimes et qui en faisaient donc des proies d’autant plus vulnérables.

Au-delà de la mise en scène impressionnante, il faut aussi saluer l’interprétation époustouflante de l’acteur principal Jonas Dassler et le travail minutieux de maquillage requis quotidiennement pour transformer ce beau jeune homme de 23 ans en un Fritz Honka crédible. The Golden Glove suscite la polémique à la Berlinale, mais il mériterait pourtant de figurer au palmarès, que ce soit pour une récompense technique ou pour le jeu impeccable de Jonas Dassler. Reste à voir si le jury sera sensible à ce genre d’oeuvre très décalée qui ne cadre pas avec la programmation dite plus « classique » qu’on retrouve généralement en compétition officielle, mais qui, justement, apporte un souffle d’originalité toujours bienvenu, fut-il sujet à controverse.

Olivier Clinckart

68e Berlinale: et les gagnants sont…

Les verdicts sont tombés : Tom Tykwer et ses jurés ont décerné leurs récompenses aux heureux lauréats. En voici la liste, suivie de quelques commentaires.

À noter tout d’abord que le prix du Meilleur 1er film (l’équivalent de la Caméra d’or cannoise) a été décerné à Touch Me Not, de Adina Pintilie.

Prix Alfred-Bauer (qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière): Las herederas (The Heiresses). Oser affirmer que ce film d’un classicisme total ouvre de nouvelles perspectives ou offre une vision esthétique novatrice est pour le moins surprenant ! Sans doute faut-il y voir plutôt un choix consensuel, vu le sujet du film et le contexte sociétal paraguayen dans lequel il s’inscrit.

Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique: Elena Okopnaya pour les costumes de Dovlatov. Là encore, probablement un choix plus politique que réellement artistique, compte tenu du thème et du parallèle que certains ne manqueront pas de faire avec la situation actuelle de la Russie.

Ours d’argent du Meilleur scénario : Manuel Alcala et Alonso Ruizpalacios pour Museum. Choix véritablement stupéfiant, tant le scénario de ce film ne présentait rien d’original par rapport à de nombreux autres films en compétition.

Ours d’argent du Meilleur acteur: Anthony Bajon pour La prière. Nous avions salué sa belle prestation, de là à la trouver supérieure à celle de Joaquin Phoenix et Franz Rogowski, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Le jeune comédien a indubitablement un bel avenir devant lui, mais cette récompense prestigieuse vient trop tôt, surtout compte tenu de l’excellente interprétation des deux acteurs cités ci-dessus et tous deux scandaleusement oubliés.

Ours d’argent de la Meilleure actrice : Ana Brun pour Las herederas (The Heiresses). Consternation de voir primée une comédienne ayant proposé un jeu sans relief, à l’image d’un film qui fait preuve d’une fausse audace en n’osant jamais aller jusqu’au bout de son propos.

Ours d’argent du Meilleur réalisateur: Wes Anderson pour Isle of Dogs. Nous avions placé le film dans notre palmarès, il méritait en effet de ne pas repartir bredouille.

Ours d’argent – Grand Prix du jury: Mug, de Malgorzata Szumowska. C’était notre Grand Prix idéal également. Trois ans après son sacre de Meilleure réalisatrice de la Berlinale 2015 pour Body, la cinéaste franchit donc un nouveau palier avec cette satire grinçante de la société polonaise et du poids écrasant de la religion.

Ours d’or du Meilleur film: Touch Me Not, de Adina Pintilie ! Nous l’avions vu également figurer au palmarès. En obtenant la récompense suprême à Berlin (en plus de celle du Meilleur premier film), le film est doublement récompensé pour l’incroyable audace dont il fait preuve. Reste à voir désormais qui seront les distributeurs (dans nos pays francophones) qui auront le courage de le sortir en salles.

Au final, un palmarès en demi teinte donc, mis à part pour les prix attribués à Mug, Isle of Dogs et Touch Me Not. Grosse déception par contre de voir Utøya 22.Juli et In the Aisles être complètement ignorés par le jury. Il en va de même pour les Ours d’argent des Meilleur acteur et Meilleure actrice, qui n’auraient jamais dû échapper à Joaquin Phoenix (ou Franz Rogowski) et Leonore Ekstrand. Palmarès très paradoxal également, puisque l’audace de choix tels que Touch Me Not, Mug et dans une certaine mesure Isle of Dogs, côtoie d’autres choix profondément consensuels. Mais ainsi en est-il en général des jurys des grands festivals européens. Et on se réjouira tout de même que Tom Tykwer et ses jurés aient laissé sur la touche les deux films-fleuves de cette 68e Berlinale, à savoir Season of the Devil et My brother’s name is Robert and he is an idiot, deux productions profondément ennuyeuse pour la première et prétentieuse pour la seconde.

Quoi qu’il en soit, cette cuvée 2018 de la Berlinale aura réservé quelques belles surprises (y compris dans les sections parallèles, dont nous aurons certainement l’occasion de reparler prochainement). Contrairement aux commentaires chagrins entendus ci et là sur une programmation décevante, le festival dirigé par Dieter Kosslick a prouvé qu’il avait encore de belles années devant lui.

Olivier Clinckart

68e Berlinale: le meilleur pour la fin?

Il restait quatre films à visionner dans la Compétition officielle avant que les jurés ne se retirent pour délibérer sur la répartition des prix. Et il est bien possible que les absents qui ont déjà quitté le Festival ont eu tort, car trois de ces quatre titres pourraient fort bien repartir de la 68e Berlinale avec un prix dans leur escarcelle. Voici un tour d’horizon des quatre titres concernés, suivi de notre palmarès personnel, dans l’attente des résultats qui seront connus ce samedi 24 février en soirée.

Museum (titre original : Museo), de Alonso Ruizpalacios, revisite à sa manière des évènements réels survenus en 1985, quand deux amis s’étant improvisés cambrioleurs amateurs avaient volé des objets d’art mayas d’une valeur inestimable au Musée National d’Anthropologie de Mexico. Voilà un sujet qui aurait pu donner lieu à une comédie dramatique des plus appréciables, si la mise en scène ne s’était pas avérée aussi ennuyeuse et manquant singulièrement de rythme. Et ce malgré la présence d’un acteur confirmé tel que Gael Garcia Bernal et le plaisir de revoir Leticia Brédice, actrice très rare sur les écrans européens mais dont on garde un beau souvenir pour sa prestation dans l’excellent film argentin Les neuf reines, en 2000. Bref, un film sans grand intérêt, ni bon ni mauvais, mais en tout cas certainement pas du niveau d’une Compétition officielle.

Touch Me Not, film roumain de Adina Pintilie, ne laisse, lui, nullement indifférent et ouvre grand la porte au débat pour son aspect expérimental et le sujet abordé qui auront profondément divisé la Critique et le public. Assez nombreux furent ceux qui quittèrent la salle lors des projections, désorientés par le spectacle qui leur était proposé. De fait, cette incursion très profonde et frontale dans l’intimité et la sexualité des protagonistes à de quoi marquer les esprits, tant sur le fond que sur la forme. Se partageant en permanence entre réalité et fiction, Touch Me Not brouille les cartes en permanence, développant une mise en abyme déroutante où la présence de la caméra de la réalisatrice est non seulement visible mais aussi palpable à chaque instant. Tout ici se réfère au rapport au corps, que ce soit par le biais d’une femme qui ne supporte plus d’être touchée par qui que ce soit, ou d’un homme souffrant de terribles malformations physiques, ou encore d’un travesti; tous ayant le même point commun: la revendication du droit à une vie sexuelle épanouie. Adina Pintilie ne met aucun gant pour aborder les tranches de vie qu’elle filme: la crudité de nombreuses scènes met inévitablement mal à l’aise dans un premier temps, nous confrontant à nos propres barrières morales ou psychologiques. Peu à peu toutefois, au fur et à mesure que nous partageons l’intimité des personnages, y compris jusque dans des situations qui ne sont pas censées être montrées, ceux-ci nous deviennent plus proches. Dès lors, aussi marginaux et hors-normes puissent-ils paraître de prime abord, ils nous apparaissent ensuite comme des êtres humains semblables à n’importe quel autre personne en quête d’amour. Probablement doit-on voir aussi dans le travail d’Adina Pintilie un rapport très complexe à la mère; c’est en tout cas ce qui semble transparaître d’un rêve qu’elle évoque dans son film, de même que le titre original roumain (Nu ma atinge-ma) laisse supposer un jeu de mots sur le mot « mama ». Si cette question n’a pas été abordée en conférence de presse, la réalisatrice a néanmoins insisté sur le fait que la fiction fonctionne comme un filet de sécurité par rapport à l’aspect documentaire. Ce qu’a confirmé un des acteurs amateurs, Christian Bayerlein, présent lui aussi à Berlin et remarquable pour le courage avec lequel il a assumé son handicap et accepté de s’exposer à l’écran.

Touch Me Not restera donc comme un film marquant de cette 68e Berlinale et s’il est clair que beaucoup n’ont pas du tout adhéré au concept, nous faisons le pari que le jury de Tom Tykwer ne restera pas insensible au premier long-métrage d’Adina Pintilie.

Le film polonais Mug permettait à Malgorzata Szumowska de revenir à la Berlinale, où elle avait été récompensée en 2015 de l’Ours d’argent de la Meilleure réalisatrice pour son excellent film Body. Elle mérite largement de récidiver en 2018 avec son nouveau film qui se veut une satire des plus grinçantes de la société polonaise toujours profondément influencée par la religion et la bigoterie, tout en cédant comme partout ailleurs aux tentations de la société de consommation. Avec une première séquence percutante d’une masse grouillante se ruant en sous-vêtements dans un supermarché pour y profiter d’une promotion, suivie par un autre plan sur fond de heavy metal à plein volume, Mug donne rapidement le ton. Avant que l’action ne s’installe dans un petit village de la campagne polonaise, où Jacek, qui vient de demander sa petite amie en mariage, va voir sa vie et son apparence physique bouleversées lorsqu’il subit un grave accident sur le chantier où il travaille à la construction d’une statue géante du Christ censée concurrencer celle de Rio de Janeiro.

Fable corrosive bourrée d’un humour acéré mais aussi empreinte d’une réflexion pleine de sens sur le poids écrasant des apparences et des traditions, le film risque de faire de fameuses vagues dans son pays d’origine. C’est en tout cas un des meilleurs concurrents en lice pour le palmarès final, tant pour sa réalisation que pour son interprétation.

In the Aisles, film allemand de Thomas Stuber, clôturait les projections de la Compétition officielle. On y retrouve dans les rôles principaux Franz Rogowski, déjà à l’affiche à la Berlinale cette année dans le Transit de Christian Petzold, et Sandra Hüller, remarquée à Cannes en 2016 pour sa belle prestation dans Toni Erdmann. Ce superbe film plein de délicatesse relate l’histoire de Christian, qui vient de se faire engager pour travailler au réassort et au transport de palettes dans un marché au gros dans une petite ville de l’est de l’Allemagne. Ou plutôt devrions-nous écrire dans une petite ville de l’ex-Allemagne de l’Est. Car ce rapport à ce pays disparu lors de la réunification allemande se fait sentir à travers les décors et une certaine nostalgie de « la vie d’avant » ressentie par certains protagonistes, qui tout en ayant intégré leur nouvelle vie capitaliste, n’en expriment pas moins les difficultés rencontrées lorsqu’il a fallu aborder cette transition.

Mais loin de se focaliser sur cette analyse, In the Aisles est aussi un récit profondément attachant sur fond de solitude et de personnages écorchés par l’existence, chacun à leur manière. Thomas Stuber filme superbement le microcosme constitué par ce décor de magasin au gros, donnant par moments à la disposition symétrique des rayonnages de palettes un aspect de décor de station spatiale, sensation renforcée par la musique de Strauss utilisée en plan d’ouverture et qui fait inévitablement penser au chef-d’oeuvre de Kubrick, 2001, l’odyssée de l’espace. Un remarquable travail sur l’image et le scénario et des protagonistes dont les fêlures personnelles ne font jamais verser l’histoire dans un quelconque excès narratif. Il est fort possible -et amplement mérité- qu’un film allemand figure au palmarès du 68e Festival de Berlin.

NOTRE PALMARÈS PERSONNEL IDÉAL (par ordre croissant) :

Prix Alfred-Bauer (qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière) : Touch Me Not de Adina Pintilie

Ours d’argent de la Meilleure contribution artistique : Isle of Dogs, de Wes Anderson

Ours d’argent du Meilleur scénario : La prière, de Cédric Kahn

Ours d’argent de la Meilleure actrice : Léonore Ekstrand dans The Real Estate (joker: Marie Bäumer dans 3 jours à Quiberon)

Ours d’argent du Meilleur acteur : Joaquin Phoenix dans Don’t worry, he won’t get far on foot (joker: Franz Rogowski dans In the Aisles)

Ours d’argent du Meilleur réalisateur: Thomas Stuber pour In The Aisles

Ours d’argent – Grand Prix du jury: Mug, de Malgorzata Szumowska

Ours d’Or du Meilleur film : Utøya 22.Juli, de Erik Poppe

Verdict final ce samedi 24 février à partir de 19h!

Olivier Clinckart

68e Berlinale: pour le pire et le meilleur

68e Berlinale : pour le pire et le meilleur

Dans chaque Compétition officielle d’un grand festival, d’excellents films côtoient des productions nettement moins inspirées. L’édition 2018 de la Berlinale ne déroge pas à la tradition. Poursuivons notre passage en revue des longs-métrages en lice, du plus affligeant au plus convaincant.

My brother’s name is Robert and he is an idiot, de Philip Gröning, à qui l’on devait Le grand silence, très beau documentaire contemplatif tourné en 2005 au coeur du monastère de la Grande Chartreuse.

Ici, Gröning aborde des thèmes philosophiques par l’intermédiaire d’un frère et d’une soeur, jumeaux fusionnels dont l’escapade bucolique non loin d’une station service de campagne va peu à peu tourner à l’aigre. Et « peu à peu » est assurément la formule adéquate pour décrire cette interminable dissertation pesante de 174 minutes qui dissuaderait quiconque de s’intéresser à un ouvrage de philosophie ! Gröning pratique en effet ici une insupportable séance de masturbation intellectuelle dont le déroulement laisse pantois. Pseudo-reflexion sur le temps, le film n’en finit pas d’étaler sa vacuité, propulsant Season of the devil, le film-fleuve de Lav Diaz (que nous évoquions assez sévèrement dans notre compte-rendu précédent), au rang de récit palpitant. Heidegger, Saint-Augustin et Platon, cités fréquemment par les deux personnages principaux, ne méritaient pas d’être associés au long-métrage le plus vain de la Compétition !

Pig constitue pour sa part un film iranien pour le moins étonnant, car plein d’humour et d’une ironie à laquelle on n’était guère accoutumés de la part d’un pays connu pour surveiller très étroitement le contenu des productions cinématographiques. Le réalisateur Mani Haghighi développe le récit joyeusement décalé d’un réalisateur blacklisté et temporairement interdit de tournage qui doit faire face au meurtre sauvage de plusieurs confrères par un mystérieux tueur. Cette comédie noire a eu le mérite de dérider les zygomatiques avec son humour bon enfant qui, s’il prend habilement soin de ne pas chercher à froisser le régime, n’en est pas moins joliment irrévérencieux et permet à l’acteur principal, Hasan Majuni, d’incarner un personnage particulièrement haut en couleur.

Dans un registre très différent, La prière, de Cédric Kahn, relate l’histoire de Thomas, un jeune homme de 22 ans envoyé dans une communauté religieuse en montagne où, en compagnie d’autres jeunes adultes, il va devoir essayer de se débarrasser de son addiction à la drogue. Les débuts seront très difficiles et douloureux, faits de doutes, de révolte et de quasi-renoncement, mais peu à peu, Thomas va comprendre que sa seule planche de salut réside dans ce groupe d’individus au sein duquel il va peut-être pouvoir réapprendre à vivre.

Avec un tel sujet, la crainte de tomber dans l’apologie d’un mysticisme aussi naïf que douteux n’est jamais bien loin. Mais Cédric Kahn évite intelligemment cet écueil en ne forçant jamais le trait et en filmant cette quête de rédemption quasiment à la manière d’un documentaire. Par extension, il nous renvoie à nos propres croyances ou non-croyances pour mieux mettre en lumière que la spiritualité peut être multiple et revêtir de nombreuses formes. Il peut compter par ailleurs sur la qualité de jeu de ses interprètes, à commencer par Anthony Bajon, rôle principal et belle révélation de La prière. Un film qui ne devra peut-être pas invoquer tous les saints du Paradis pour décrocher l’un ou l’autre prix lors de la soirée de clôture de la Berlinale.

Enfin, autre excellente surprise, le dernier film de Gus Van Sant et un des meilleurs de la Compétition officielle, Don’t worry, he won’t get far on foot, qui devrait logiquement valoir l’Ours d’argent du Meilleur acteur à Joaquin Phoenix. Le comédien est époustouflant dans son incarnation du dessinateur John Callahan, cartooniste américain devenu paralysé suite à grave accident de voiture survenu sous l’influence de l’alcool. Un alcoolisme ravageur dont Callahan cherchera peu à peu à se débarrasser grâce à l’influence d’un mentor charismatique (incarné par l’épatant Jonah Hill) et qui lui permettra ensuite d’exploiter son talent pour le dessin.

Le risque de ce genre de biopic basé sur la rédemption et hollywoodien de surcroît est de tomber dans l’excès de pathos. Mais pas besoin de sortir les mouchoirs grâce à la mise en scène parsemée de notes d’humour de Van Sant qui, refusant toute linéarité, fait se succéder les passages d’une époque à l’autre, évoquant à tour de rôle l’avant-accident et l’après-accident de Callahan, tout au long de séquences qui permettent au fur et à mesure de mieux cerner les blessures profondes de l’homme et de comprendre, sans les justifier pour autant, les failles l’ayant mené aux excès d’alcool qui l’ont laissé lourdement handicapé.

Cette leçon de vie doublée d’une ode (jamais mièvre) à la seconde chance ne pouvait pas trouver meilleur interprète que Joaquin Phoenix, bluffant de vérité et de… sobriété. L’acteur pourrait donc parfaitement faire un sensationnel coup double en matière de prix d’interprétation, puisqu’il avait reçu la Palme d’Or du meilleur comédien en mai 2017 à Cannes, il y a donc tout juste neuf mois, pour le film You were never really here. Sous réserve des quelques films qui doivent encore visionnés dans le cadre de la Compétition, il serait incompréhensible que le jury passe à côté d’une telle performance.

Olivier Clinckart

La Berlinale en noir et blanc

Même si certains films se sont avérés hauts en couleurs dans la Compétition officielle de cette année, deux productions en lice pour l’Ours d’or ont, elles, été tournées en noir et blanc.

C’est ainsi que le réalisateur Lav Diaz revenait en Compétition à la Berlinale, deux ans après y avoir décroché le Prix Alfred-Bauer pour A Lullaby to the Sorrowful Mystery, film-fleuve de… 485 minutes (!), qui allait être suivi quelques mois plus tard par The Woman who Left, de 226 minutes « seulement » et qui allait remporter la récompense suprême -le Lion d’Or- à la Mostra de Venise.

Voici donc le Philippin de retour à Berlin avec Season of the Devil, qui ne risque pas de réconcilier les amateurs de courts-métrages avec le cinéaste : pendant 234 minutes, le film -dont le récit se situe à la fin des années 70 sous la dictature de Ferdinand Marcos- fait se succéder de nombreuses séquences tantôt chantées, tantôt parlées, tantôt silencieuses, la plupart du temps dans de longs plans fixes dont on ne tarde pas à se lasser, à moins de parvenir à y déceler, comme c’est le cas pour certains, une poésie qui nous échappe.

Plusieurs jurys ont déjà été séduits par le style de Diaz dans un passé récent, mais il n’en reste pas moins que la radicalité de son cinéma reste, par essence, confidentiel et ne s’adresse qu’ à un public restreint d’inconditionnels dont nous ne faisons pas partie.

Il en va tout autrement pour Trois jours à Quiberon, d’Emily Atef, qui comme son titre ne l’indique absolument pas, évoque trois jours dans la vie de l’actrice Romy Schneider, alors en cure dans cette ville de Bretagne. Une cure censée soigner ses doutes existentiels et l’addiction à l’alcool et aux médicaments causée par ces angoisses. Mais ces dernières ne sont jamais bien loin et l’interview que la comédienne accepte d’accorder à un journaliste particulièrement incisif et à un ami photographe du magazine allemand Stern vont remuer en elle de nombreux sentiments perturbants. L’actrice Marie Bäumer incarne Romy Schneider avec un mimétisme saisissant, dans cette évocation réussie. Bäumer n’a, il est vrai, pas été choisie au hasard par la réalisatrice, cette ressemblance frappante avec son modèle ayant évidemment joué en sa faveur. Pour autant, encore fallait-il être en mesure d’incarner une Romy crédible, ce que Maria Bäumer réussit à faire avec brio. Notre seule réserve viendra de l’utilisation du noir et blanc, un choix esthétique qui, à nos yeux, entraîne dans ce cas bien précis une certaine distance avec les protagonistes. Mais c’est là l’unique bémol d’un film qui remplit fort bien sa mission, de même qu’il nous éclaire sur des faits peu connus du public francophone et donne envie de se documenter sur cette longue interview réalisée quelques mois avant la mort accidentelle de David, le fils de Romy, suivi peu de temps après par le décès de l’inoubliable interprète de Sissi.

Olivier Clinckart

Berlinale 2018: deux films marquants

 

C’est le propre de toute Compétition officielle dans chaque grand festival: les films se suivent et ne se ressemblent pas. C’est ainsi que nous avons pu voir deux longs-métrages particulièrement marquants, chacun dans leur genre, et qui méritent largement de ne pas repartir bredouilles de la 68e Berlinale.

The Real Estate (titre original: Toppen av ingenting) est une production suédoise complètement délirante co-réalisée par Axel Petersen et Mans Mansson. Le type de film qui divise en général profondément la Critique et ce fut encore le cas cette fois-ci, un certain nombre de journalistes quittant peu à peu la salle de projection, tandis que les autres se régalaient de cette proposition cinématographique qui se démarque nettement du reste de la sélection. L’histoire est très simple: une femme de 68 ans hérite d’un immeuble -que lui a légué son défunt père- dans le centre de Stockholm. Mais après une vie passée à profiter de l’existence dans le Sud de l’Europe grâce aux finances florissantes de son paternel, Nojet se retrouve soudain confrontée à l’organisation chaotique de son immeuble ainsi qu’aux locataires dont plusieurs ne possèdent même pas de bail en bonne et due forme. Que faire, dès lors, pour remettre un peu d’ordre dans cette fourmilière et tirer profit de cet héritage encombrant?

Avec une fameuse dose d’ironie, les deux réalisateurs décrivent en l’amplifiant une réalité sociale qui n’est pas uniquement inhérente à Stockholm, mais qui pourrait s’appliquer à n’importe quelle grande ville européenne et aux difficultés liées au logement auxquelles on peut se retrouver confronté. Le sujet est traité en permanence avec un second degré des plus réjouissants ainsi qu’une bande son remarquablement travaillée et une photographie réussie ayant pour objectif de renforcer la sensation perturbante qui se dégage de la mise en scène. Car les personnages principaux se révèlent quasiment tous monstrueux, à commencer par l’héroïne qui va petit à petit perdre les pédales en tentant de se dépêtrer de ses nouvelles responsabilités immobilières, tout en devant composer avec un demi-frère qui ne s’exprime que par grognements et le fils de celui-ci qui gère l’immeuble entre deux rasades d’alcool et quelques coups de poing.

Au rayon interprétation, impossible de ne pas être ébahis par le jeu de Léonore Ekstrand (dans le rôle de Nojet) dont la performance extraordinaire de vieille dame très indigne mériterait largement l’Ours d’argent de la meilleure actrice. Personnage insupportable, prétendent certains détracteurs du film, mais c’est en réalité tout l’opposé: sous les réactions exacerbées et la folie progressive qui gagne Nojet, des sentiments humains ont le temps de s’exprimer au détour d’une conversation dans un bar qui nous aide à comprendre sa personnalité.

Il est clair que The Real Estate est très loin de susciter l’unanimité, mais on ne peut lui dénier une réelle originalité de ton que bien d’autres productions à gros budget ne possèdent pas. Et sa durée des plus raisonnables (88 minutes) lui permet de ne jamais perdre en intensité. Un fameux projet immobilier et cinématographique dont, nous l’espérons, le jury se portera acquéreur au moment de l’attribution des prix.

Virage à 180° avec le terrifiant Utøya 22.Juli (titre anglais: U – July 22) du Norvégien Erik Poppe. Terrifiant car basé sur des faits hélas bien réels, ceux relatifs au massacre commis sur l’île d’Utøya par un terroriste d’extrême-droite qui fera 69 victimes le 22 juillet 2011 parmi des jeunes réunis en camp de vacances. Une tragédie insoutenable et forcément un sujet extrêmement difficile à mettre en images. Car comment, en effet, trouver le ton juste pour évoquer un tel drame, compte tenu du traumatisme profond des survivants et des familles des victimes, sans verser dans un sensationnalisme ni un spectacle sanguinolant qui serait du plus mauvais effet?

Ces obstacles apparemment insurmontables sont pourtant abordés avec intelligence par Erik Poppe, car celui-ci prend bien soin de se focaliser uniquement sur les victimes et jamais sur le meurtrier, qui n’est filmé que très furtivement et de loin et dont le nom n’est jamais prononcé (comme il ne le sera d’ailleurs pas non plus dans cet article). L’intention était justement de faire en sorte que le regard du public se porte sur ceux qui ont eu à subir les exactions de ce terroriste, plutôt que d’offrir une quelconque publicité médiatique supplémentaire à ce dernier. Par ailleurs, Erik Poppe expliquait en conférence de presse à quel point il tenait à tout prix à entretenir le souvenir de ces événéments douloureux, car il avait pu constater que, six ans seulement après les faits, ceux-ci semblaient déjà s’estomper dans les mémoires, comme s’il fallait absolument prétendre tourner la page pour mieux surmonter le drame.

Filmé caméra à l’épaule et en temps réel (l’attaque en elle-même a duré précisément 72 minutes), Utøya 22.Juli constitue de plus un remarquable plan-séquence, prouesse technique rare au cinéma. Terriblement anxiogène, car on sait à chaque seconde que la fiction qui se déroule à l’écran est basée sur des faits réels, le film est essentiellement basé sur la suggestion et les sons de détonations et de cris qui ponctuent le récit. Une technique d’autant plus efficace pour restituer l’horreur.

Certains ne manquent pourtant déjà pas de polémiquer sur la fictionnalisation d’un tel fait divers (avec, entre autres, le recours à un personnage principal, superbement incarné par la jeune Andrea Berntzen). Or Erik Poppe a bien insisté sur le fait que rien n’avait été entrepris sans concertation avec les personnes directement concernées; plusieurs projections-tests ayant même été organisées à leur intention, du moins pour celles qui souhaitaient évidemment y prendre part. Dans cette optique, les quelques huées lamentables entendues en fin de projection de presse n’en sont que plus révulsantes de la part de certains journalistes qui crachent sur le devoir de mémoire pour de basses considérations formelles. Le générique final ne manque d’ailleurs pas de mentionner que « le film est une oeuvre de fiction basée sur la réalité. Ce n’est pas un documentaire. C’est un des reflets de la réalité. Il peut y en en avoir plusieurs. »

Certains Ours d’Or ont pu s’avérer très consensuels par le passé, mais en décerner un à Utøya 22.Juli aurait le double mérite de récompenser une oeuvre cinématographique complète et de rappeler à quel point toute forme d’extrémisme peut faire survenir le pire.

Olivier Clinckart

 

Berlinale 2018: la Compétition se poursuit

La Compétition officielle du Festival de Berlin poursuit son rythme de croisière depuis son ouverture le jeudi 16 février. Poursuivons notre tour d’horizon des films en Compétition officielle, avec plusieurs titres qui n’ont pas pleinement répondu aux attentes.

Dovlatov évoque une partie de la vie de l’écrivain russe du même nom, Sergueï Dovlatov, mort à seulement 48 ans en exil aux Etats-Unis, où il vivait depuis 1979 après quitté l’U.R.S.S. où sa liberté de ton était proscrite. Le réalisateur Alexey German Jr. situe son récit à Leningrad en novembre 1971, tout au long de six journées s’articulant autour de la célébration annuelle de la révolution russe et des grandes difficultés que rencontre Dovlatov pour se faire publier, lui qui refuse obstinément de se plier aux contraintes littéraires fixées par le régime communiste soviétique. Si l’évocation historique proprement dite ne manque pas d’intérêt, de même qu’elle met en lumière la lutte d’un écrivain qui refuse d’abandonner sa liberté de penser, le film n’en devient pas moins excessivement répétitif après sa première heure, de sorte que l’intérêt pour l’histoire s’effiloche peu à peu.

Figlia Mia (Daughter of Mine), unique film italien en Compétition officielle cette année, est une nouvelle déception à mettre à l’actif -ou plutôt au passif- de Laura Bispuri. On lui devait déjà Vierge sous serment (Sworn Virgin) en 2015, au sujet troublant et interpellant et également présenté à Berlin, mais développé de façon ultra-conformiste et sans la moindre passion. Il en va de même pour Figlia Mia, qui narre l’histoire d’une fillette de dix ans qui sera bientôt confrontée au secret de ses origines; un secret -très facile à deviner- qui va mettre aux prises deux femmes au sujet d’une question douloureuse de maternité.

Si l’actrice Alba Rohrwacher tire à peu près son épingle du jeu en mère biologique irresponsable et portée sur la bouteille, le reste du récit ne présente guère d’intérêt à force de s’étirer paresseusement sous le soleil de la Sardaigne et d’accumuler un paquet de clichés ainsi qu’une furieuse sensation de déjà vu et revu.

Transit, de Christian Petzold (réalisateur des excellents Barbara et Phoenix) propose une trame narrative assez originale: de nos jours à Marseille, des réfugiés tentent de fuir les forces d’occupation fascistes qui se rapprochent de la ville. Un écrivain allemand, Georg, va prendre l’identité d’un écrivain décédé depuis peu pour profiter de son visa et fuir le continent pour embarquer à bord d’un navire en partance pour l’Amérique.

En abrogeant les barrières du temps, Petzold a donc construit une dystopie plutôt intéressante: le personnage principal porte des vêtements datant des années 40 et les fascistes organisent des rafles en plein jour, mais tout se passe à notre époque. Parfaite occasion pour que le scénario établisse des passerelles évidentes entre ces temps sinistres du 20e siècle et la période troublée que nous vivons aujourd’hui, avec le drame des migrants et la montée des nationalismes de tous bords qui font redouter le pire.

Ce choix de mise en scène crée donc une atmosphère étrange qui se voit toutefois tempérée par un trop grand brassage de thématiques différentes. A force de vouloir courir trop de lièvres à la fois, Petzold n’arrive pas à se concentrer sur un sujet susceptible de procurer l’intensité dramatique suffisante à l’intrigue. Par ailleurs, en reprenant un thème qui lui semble cher (l’usurpation d’identité, déjà utilisée dans Phoenix), le réalisateur ne se renouvelle pas vraiment. Ce qui n’enlève rien à la belle prestation d’acteurs de Franz Rogowski et de la toujours séduisante et troublante Paula Beer, remarquée par le public francophone dans Frantz de François Ozon.

Enfin, Eva, de Benoît Jacquot, permettait à la Berlinale d’accueillir Isabelle Huppert, qui tient le rôle principal aux côtés de Gaspard Ulliel. Le film s’inspire du roman éponyme de James Hadley Chase, qui avait déjà été adapté au grand écran en 1962 par Joseph Losey (avec Jeanne Moreau et Stanley Baker). Hélas, cette adaptation-ci n’a guère de saveur et on s’interroge sur ce qui a poussé les sélectionneurs à placer ce film en Compétition officielle. Ulliel incarne un gigolo qui dérobe la manuscrit d’une pièce de théâtre à un vieil écrivain qui vient de mourir sous ses yeux. Contre toute attente, la pièce rencontre un gros succès, mais l’usurpateur -encore une histoire d’usurpation!- se voit mis le dos au mur lorsqu’il doit se mettre à la rédaction d’une nouvelle pièce pour confirmer son succès initial. Une rencontre inopinée avec une prostituée d’âge mûr -incarnée par Isabelle Huppert- va venir compliquer encore un peu plus sa situation. Pitch prometteur mais résultat bien décevant, Jacquot ne parvenant jamais à faire décoller une intrigue platement filmée, avec des acteurs visiblement tout aussi platement dirigés. Isabelle Huppert se contente d’ailleurs du minimum syndical, pas mauvaise, certes, mais sans jamais exprimer la pleine mesure de son talent. Eva… et ne va pas, donc!

Heureusement, la Berlinale réserve aussi de très bonnes surprises, comme nous aurons l’occasion de l’expliquer dans notre prochain compte-rendu.

Olivier Clinckart

Berlinale 2018: Clap 68e!

La 68e édition du Festival de Berlin a été inaugurée ce jeudi 15 février, ouvrant ainsi le bal annuel des trois grands festivals européens pour 2018, avant Cannes en mai et Venise en septembre.

Parmi les membres du jury international présidé par le réalisateur Tom Tykwer (Cours, Lola, cours), on notera la présence de l’actrice belge Cécile de France, qui aura donc la lourde tâche, avec ses collègues jurés, de déterminer à qui iront les lauriers de la Compétition officielle parmi les 19 films en lice.

Et s’il en est un qui se place d’ores et déjà en bonne position pour ne pas repartir bredouille, c’est le dernier film en date de Wes Anderson, qui était projeté lors du gala d’ouverture et a reçu un très bon accueil public et critique.

L’ïle aux chiens (Isle of dogs) était un choix intéressant de la part des programmateurs: un film d’animation est en effet plutôt rare pour une soirée d’ouverture. Mais on sait qu’Anderson est une valeur sûre et il l’a encore prouvé avec cette bonne allégorie des régimes politiques totalitaires et corrompus, dans laquelle, suite à une épidémie de grippe canine au Japon, tous les chiens malades sont déportés sur une île voisine.

En présence de quelques-uns des acteurs -parmi lesquels Jeff Goldblum, Liev Schreiber, Greta Gerwig et Bill Murray- prêtant leurs voix aux personnages dans la V.O., Wes Anderson a donc pu savourer un retour gagnant dans l’univers de l’animation, après le très apprécié Fantastic Mr. Fox.

La Compétition officielle pouvait donc prendre son envol et s’est poursuivie ce vendredi 15 février avec Las herederas (The Heiresses, littéralement « les héritières »), la première production du Paraguay a être sélectionnée dans une Compétition d’un grand festival, se félicitait son réalisateur, Marcelo Martinessi. Coproduction internationale en fait mais qui cherche à dépeindre un des aspects de cette nation d’Amérique du Sud à travers le récit de Chela et Chiquita, deux femmes d’âge mûr formant depuis longtemps un couple et dont le quotidien déjà rendu difficile par les ennuis financiers, se voit perturbé encore davantage lorsque Chiquita doit purger quelques semaines de prison suite à un problème de dettes. Paradoxalement, alors que sa compagne est détenue, Chela (re)découvre une certaine liberté. Si ce tableau social de facture classique -y compris jusqu’à sa conclusion attendue- dépeint une certaine réalité du Paraguay (la vieille bourgeoisie déclinante, l’absence des hommes) le spectateur étranger n’en possède pas tous les codes permettant de l’apprécier pleinement. Reste l’interprétation efficace de son actrice principale, Ana Brun.

Accueil plutôt tiède, enfin, pour Damsel, western décalé et qui ne se prend pas au sérieux, réalisé par les deux frères David & Nathan Zellner. Et avec un bien joli casting composé de Robert Pattinson, Mia Wasikowska, Robert Forster et… les deux co-réalisateurs eux-mêmes! Etonnamment, Robert Pattinson s’était retrouvé en Sélection officielle à Cannes en 2017 pour le déjanté et jouissif Good Time, co-réalisé par… deux autres frères, Joshua et Ben Safdie! Neuf mois plus tard, le voici donc à Berlin, pour un nouveau récit plein d’ironie, dans lequel c’est clairement la femme qui porte la culotte face à des hommes plutôt stupides et/ou fort peu courageux. Comme pour le film paraguéen cité plus haut, Damsel s’avère être assez classique et ne cherche pas à renouveler le genre, mais, à l’instar de Good Time à Cannes et malgré le peu d’enthousiasme de la Critique, nous ne pouvons nous empêcher d’apprécier la fantaisie qu’il dégage, un élément toujours bienvenu au sein de compétitions officielles souvent frileuses lorsqu’il s’agit d’y inclure l’une ou l’autre comédie. Par ailleurs, force est de souligner le talent indéniable de Robert Pattinson; talent probablement pas encore reconnu à sa juste valeur, du moins tant que l’étiquette de Twilight lui collera encore à la peau.

Olivier Clinckart