La meilleure surprise d’une Compétition officielle très en demi-teinte jusqu’à présent, c’est incontestablement Effacer l’historique (♥♥♥), la comédie française du tandem Gustave Kervern-Benoît Delépine. Les deux cinéastes reviennent très en forme avec leur satire du monde 2.0 dans lequel nous vivons, où tous les satellites et les technologies numériques qui nous entourent sont censés nous rendre la vie tellement plus simple, mais ne font en réalité que la compliquer toujours davantage.
Effacer l'historique © Les Films du Worso / No Money Productions
Les trois interprètes principaux contribuent pleinement à la réussite du film: Blanche Gardin démontre qu’elle n’est pas “seulement” une excellente humoriste mais aussi une très bonne actrice, Corinne Masiero fait toujours preuve du même bagoût et de la même spontanéité et Denis Podalydès livre une prestation à la hauteur de son talent. Leurs personnages -accompagnés par quelques caméos très savoureux- sont tous les trois paumés dans cette société qui va trop vite pour eux et qui ne fait, au final, que renforcer leur solitude. Mais heureusement, rien n’est perdu et ils vont démontrer que la solidarité n’est pas un vain mot!
La grande force du film réside dans cette capacité à faire rire très souvent alors qu’il aborde en fait des réalités aussi effarantes qu’inquiétantes de notre société moderne. Cet équilibre subtil développé par Kervern et Delépine débouche sur une fort agréable surprise qui mérite assurément de repartir de la Berlinale avec l’une ou l’autre récompense.
Dans un registre très différent, un autre film, italien celui-là, mérite également l’attention. Hidden Away (Volevo Nascondermi pour le titre original) (♥♥1/2), de Giorgio Diritti, évoque la vie étonnante et le parcours cabossé du peintre naïf Antonio Ligabue (1899-1965). L’homme, dont les troubles psychiatriques asses sévères dont il souffrait , fut d’abord traité comme un paria de la société, avant qu’un autre peintre, conscient de son talent, ne l’héberge et lui permette, peu à peu, de connaître une existence meilleure, même si son entourage n’était pas composé uniquement de gens désintéressés.
Hidden Away (Volevo Nascondermi) © Chico De Luigi
L’exercice du biopic n’est jamais simple, mais celui-ci a le mérite, malgré sa forme assez classique, de mettre en lumière le destin d’un homme hors du commun et de le faire connaître auprès du plus grand nombre. Le comédien Elio Germano compose une incarnation époustouflante d’Antonio Ligabue et un Ours d’Argent du Meilleur acteur se justifierait pleinement à ce stade-ci de la Compétition.
Enfin, Philippe Garrel revient avec son dernier long-métrage, Le sel des larmes (♥♥), qui raconte le parcours de Luc, jeune homme fraîchement débarqué à Paris pour y suivre des études de menuiserie et marcher ainsi dans les pas de son père. Il fait la rencontre de la ravissante Djemila et son coeur ne tarde pas à battre la chamade pour cette jolie jeune femme. Mais la difficulté de poser des choix clairs ne sera pas sans influence sur la vie de Luc.
Le sel des larmes © G. Ferrandis 2019/RECTANGLE PRODUCTIONS CLOSE UP FILMS-ARTE FRANCE CINEMA RTS RADIO TELEVISION SUISSE
C’est avec un beau noir et blanc, qui donne à l’ensemble un charme désuet, que Garrel suit ses personnages et décrit l’inconstance de son personnage principal dans son parcours sentimental, sans pour autant le juger. Il en découle une jolie réflexion sur le temps qui passe et les amours perdues dont on regrette leur saveur tout en sachant pertinemment bien qu’elles ne reviendront plus. Aux côtés de Logann Antuofermo (Luc), on retrouve Oulaya Amamra, Louise Chevillotte, Souheila Yacoub et le touchant André Wilms dans le rôle du père.
Certes, grand admirateur de l’oeuvre de Godard et de Truffaut, Garrel fait du Garrel et ne se renouvelle pas. Mais qu’importe s’il continue à raconter les mêmes choses, tant qu’il les raconte bien.
Olivier Clinckart