Matt Dillon, star à éclipses

Jeune premier ultra-charismatique du cinéma américain des années 80, Matt Dillon n’a pas toujours confirmé les espoirs portés en lui. Le voici de retour dans la peau d’un serial killer plus vrai que nature devant la caméra du controversé Lars von Trier, dans The House That Jack Built, qui avait fait sensation lors du dernier Festival de Cannes, où le film avait été projeté hors compétition et que nous avions brièvement évoqué à l’époque ( http://cinema-be.be/cannes-2018/the-house-that-jack-built-selection-officielle-hors-competition/ )

« J’ai décidé de me punir moi-même de vivre cette vie douillette d’acteur », déclarait Matt Dillon en 2002 à un journaliste américain lui demandant pourquoi il passait derrière la caméra avec son plutôt réussi City of Gods… Mais c’est faire l’impasse sur une carrière qui a connu quelques hauts mais surtout des bas et ne fut pas pour Dillon un long fleuve tranquille.

Tout commence pourtant sur les chapeaux de roue. Beau comme un dieu descendu sur Terre, il est remarqué à 14 ans dans son lycée par des chasseurs de talents et obtient dans la foulée le premier rôle dans le film The Edge of Town, où il interprète un jeune délinquant nommé Richie, assez proche de l’enfant turbulent qu’il est. Nous sommes en 1979, Dillon vit dans la banlieue de New York au milieu de cinq frères et sœurs dont Kevin (futur acteur-phare de la série Engrenage) et quitte avec fracas l’école pour l’Actor’s Studio de Lee Strasberg.

Les propositions s’enchaînent, mais l’étiquette du voyou beau gosse (il est une nouvelle sorte de jeune premier au cinéma, dans la lignée du Rebel without a Cause James Dean mais en beaucoup plus tordu) lui colle à la peau comme une seconde nature. Ce mauvais garçon charismatique, il va le décliner deux fois devant la caméra de Coppola, après déjà quasi 4 ans d’absence, pour un portrait romantique de l’adolescence tourmentée. C’est Rusty James et Outsiders, au milieu de jeunes loups très prometteurs mais aux destins très contrastés (Ralph Macchio, Mickey Rourke, Patrick Swayze, Tom Cruise…).

S’il est toujours l’objet de fantasmes les plus fous (en 2007 encore, la chanteuse française Constance Verluca en fait son petit ami des cours de récré avec le bien-nommé single « Matt Dillon », où elle susurre langoureusement son nom en guise de refrain!), il entend bien changer de cap et « faire vraiment l’acteur », avec un leitmotiv : « Je n’ai pas encore eu l’occasion d’exprimer toute la versatilité de ma nature », répété comme un mantra. Il en aura l’occasion dans Drugstore cowboy où il est un junkie en manque pour Gus Van Sant. L’acteur explose de fragilité à l’écran.

Hors plateau, il est aussi là où on ne l’attend pas. Dillon possède l’une des plus importantes collections au monde de musiques afro-cubaines des années 20 à 50. Il a d’ailleurs réalisé un documentaire sur le chanteur cubain Francisco Fellove. Il se débrouille aussi très bien comme percussionniste et est un grand utilisateur des réseaux sociaux où il partage sa passion pour la musique.

Les années 90 ne le verront pas beaucoup en haut de l’affiche, mais on peut retenir deux tentatives très réussies dans la comédie: la délicieuse « comédie gay » In&Out, aux côtés de Kevin Kline, et le déjanté Something about Mary des dingos frères Farrelly, où en détective privé bas du front il déroule les manigances les plus vicieuses pour séduire Mary. Il obtiendra les faveurs de son interprète, Cameron Diaz, à laquelle il se fiance un temps.

Acteur libre, mais plus beaucoup demandé, Dillon passe à la réalisation d’un épisode de la mythique série Oz, puis de son long métrage City of Ghosts évoqué plus haut. On retiendra deux rôles notables: le flic raciste de Collision et le double de l’écrivain Bukowski dans Factotum. Puis c’est la traversée du désert. Jusqu’à The House That Jack Built, brûlot génial de Lars von Trier où son physique mi-ange mi-démon sert à la perfection le rôle de ce tueur en série sans âme ou si peu. Pas sûr qu’un personnage aussi peu aimable remette en orbite cette belle comète du cinéma américain. Une chose est sûre cependant: on le verra en 2019 dans Fonzo du petit génie Josh Trank (Chronicle), en quête d’une seconde chance à Hollywood lui aussi, après l’échec des Quatre fantastiques.

Thierry Van Wayenbergh

 

 

 

 

The House That Jack Built – Sélection officielle (Hors Compétition)

Le grand film que Lars a construit

♥♥♥

États-Unis, dans les années 70. Jack est un tueur en série qui considère chaque meurtre comme une œuvre d’art en soi. Alors que l’ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher, il décide – contrairement à toute logique – de prendre de plus en plus de risques.

Le récent Lion d’Or de Berlin, Touch Me Not, avait profondément divisé le public et la Critique, un certain nombre de spectateurs quittant même la salle pendant la projection. Re-belote, mais cette fois à Cannes, avec le dernier film de Lars Von Trier, qui n’aura donc à nouveau laissé personne indifférent. Belle manière de célébrer enfin le retour du réalisateur danois sur la Croisette, lui qui y était persona non grata depuis l’incident -fortement monté en épingle- lié à ses déclarations maladroites en 2011. Est-ce d’ailleurs pour faire les choses en douceur que les organisateurs ont choisi de projeter The House That Jack Built hors compétition, alors que le film aurait largement pu prétendre aux honneurs de la course à la Palme? Toujours est-il que Von Trier signe ici une nouvelle pépite et que Matt Dillon incarne de façon redoutable un tueur en série aux crimes particulièrement sadiques.

D’emblée, d’ailleurs, le scénario donne le ton, avec une séquence d’ouverture pour le moins suprenante et gratinée interprétée par Uma Thurman et Dillon. Le reste sera du même acabit, avec une violence dont le personnage principal ne se départira pas. Construit en chapitres, avec une voix off et un dialogue entre le meurtrier et un autre personnage dont on ne comprendra le rôle que tardivement, The House That Jack Built ne sera perçu par les détracteurs de Von Trier que comme une énième provocation de sa part. De même, ils jugeront les scènes de violence comme insoutenables. Il s’agirait pourtant là d’une interprétation erronée au premier degré, alors que l’oeuvre du cinéaste doit, justement, se lire au second, voire parfois même au troisième degré.

Car, finalement, où réside la véritable violence dans le film? Dans le comportement de Jack? Certes, mais aussi et tout autant dans l’insupportable indifférence dont peut faire preuve une Amérique confrontée quotidiennement à une violence omniprésente et qu’elle ne réussit pas à endiguer, trop attachée à défendre jusqu’à l’absurde le droit de détenir des armes, alors que celles-ci font des milliers de morts chaque année. Il est donc indispensable de saisir l’aspect métaphorique du récit pour en saisir pleinement toute sa portée. Alors seulement, toutes les prouesses filmiques de son auteur prendront tout leur sens. En ce qui nous concerne, le doute n’est pas permis: Von Trier revient en grande forme au Festival de Cannes!

Olivier Clinckart